En Thuringe, Edith Piaf s’invite parmi les balletomanes

Non loin de Leipzig, en Thuringe. La ville de Gera, comptant à peine 100 000 habitants, s’orne d’un splendide théâtre néo-renaissance construit en 1902 par Heinrich Seeling. Depuis les années 20, la compagnie ne cesse de faire parler d’elle, tant et si bien qu’elle peut se targuer, depuis 2013, de porter le nom de Thüringer Staatsballett (NDLR : en Allemagne, seulement six compagnies sont considérées comme des Staatsballett, « ballet d’état »). Silvana Schröder (NDLR : la sœur de Mario Schröder, directeur du Ballet de Leipzig) le dirige depuis 2011 et organise une fois tous les deux ans la BallettFestwoche. Au programme de cette édition 2017 : des pièces signées par la chorégraphe, entre répertoire et créations, une pièce créée par Jiří Bubeníček (NDLR : ex soliste du Ballet de Hamburg), un gala regroupant les Ballets de la région (Altenburg-Gera, Eisenach et Nordhausen), l’École Palucca de Dresde en invitée, ainsi que le show breakdance des Flying Steps et le Spellbound Contemporary Ballet de Rome.

 

Piaf – La vie en rose de Silvana Schröder, Alina Dogodina et Vitalij Petrov © Sabina Sabovic

 

En seconde soirée d’une semaine bien chargée était programmé Piaf – La vie en rose de Silvana Schröder. Pas évident d’évoquer la chanteuse mythique sans tomber dans le kitsch. Et pourtant, la chorégraphe réussit avec grâce et justesse à nous transporter dans le Paris de l’entre-deux-guerres, avec ses joies et ses galères, ses espoirs et ses déboires. La petite Edith, 1,47 mètre, va vite y devenir grande, très grande, trop grande. Elle croisera le chemin de beaucoup d’hommes. L’occasion pour Silvana Schröder de créer non moins d’une dizaine de solos/duos pour ses danseurs. Ils enchaînent portés et pirouettes pendant deux heures d’une représentation tonique.

Filip Kvačák en Yves Montand est indéniablement le plus technique de tous. J’ai particulièrement apprécié son duo enlevé sur Les Feuilles mortes, aux côtés d’Alina Dogodina, la Piaf « privée », sa face cachée et silencieuse. La soliste fatigue toutefois : plus les solos et duos vont crescendo, plus ses pirouettes perdent en précision. Et puis n’aurait-il pas été judicieux de chorégraphier quelques duos sur pointes ? Les jambes n’en auraient été que plus galbées… Daria Suzi, dans le rôle de Momone – Simone Berteaud, est plus dans ses chaussons. D’une froideur impressionnante, elle interprète pourtant avec charme cette fidèle amie, tel un partenaire portant sa propre ambiguïté.

Piaf – La vie en rose de Silvana Schröder, Vasiliki Roussi und Alina Dogodina © Sabina Sabovic

 

La Piaf « officielle » est interprétée (et comment !) par l’actrice et chanteuse grecque formée à Vienne (et entre autres à la comédie musicale), Vasiliki Roussi. Accompagnée par un orchestre live (piano, violon, accordéon et contrebasse), elle incarne avec authenticité l’âme de la chanteuse et refait vivre ses trémolos langoureux, ponctués d’une accentuation étonnement parfaite. Ses interprétations des grands airs tels que Non, je ne regrette rien ou d’œuvres moins connues comme Les Blouses blanches sont tout simplement bluffantes : Vasiliki Roussi résonne par sa présence, porte les danseur.ses, toujours en retenue.

La danse, en toute humilité, ne pique pas la vedette à la chanson. C’est un va-et-vient intelligent qui s’opère. Les ensembles sont dynamiques, symétriques, et n’alourdissent en rien le propos, au contraire. Leurs corps donnent chair à la voix d’une artiste fragile, bouleversée et bouleversante. Les gabardines rouges cintrées et les talons aiguilles des danseuses apportent la touche française glamour espérée. Un clin d’œil à la revue bien pensé. Un autre : en début et fin de spectacle, Piaf glisse ses mains caressantes sur le velours rouge du rideau. Chez la chanteuse, le fragile point d’équilibre, ou de déséquilibre, est figuré par un espace ingénieusement mis en scène : scène tournante comme pour encore mieux illustrer les paroles de Mon Manège à moi, rideau de bouteilles vides rappelant l’alcoolémie de Piaf, hublot de fond de scène rappelant l’avion du crash de Marcel Cerdan, l’unique faisceau lumineux de sa vie…

Piaf - La vie en rose de Silvana Schröder © Sabina Sabovic
Piaf – La vie en rose de Silvana Schröder © Sabina Sabovic

 

Loin d’une représentation mièvre, qui aurait pu mêler propos bateau et émotion à gros flots, Silvana Schröder remporte le pari de faire revivre Edith Piaf avec fougue et sincérité, entre danse et chanson.

 

OÙ ET QUAND ?

Ballettfestwoche, Bühnen der Stadt Gera, du 27 janvier au 4 février 2017

Crédits Image de Une :  © Sabina Sabovic

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