Saisons-F(r)ictions, pièce atmosphérique de Nicolas Hubert.

Le Centre chorégraphique national de Grenoble dans le cadre de son accueil studio 2017 ainsi que le Pacifique –CDC, ont accueilli Nicolas Hubert pour des résidences de création, le travail en cours a été présenté au CCN2 début février puis au Pacifique le 9 mars dernier. C’est à cette deuxième répétition ouverte que nous avons assistée.

Le principe de la répétition ouverte est une forme qui laisse de la liberté aux artistes comme au public, le travail étant en cours, on ne voit qu’un extrait ou qu’un état plus ou moins fixé de ce que sera la future pièce. Un temps d’échange avec les artistes est prévu à l’issue de la représentation ce qui permet un échange réflexif sur le work in process. Ce sont aussi les premiers temps de confrontation avec des regards extérieurs à l’équipe de création (chorégraphe, interprètes mais aussi musiciens, scénographes, techniciens son, lumière, etc.), les seuls temps où il s’agit d’un regard collectif sur l’œuvre donnée à voir, une première mise à l’épreuve du public.

Pari osé mais nécessaire de la part des artistes et analyse sur le fil du critique puisqu’il est toujours délicat de devoir qualifier une œuvre qui n’est pas présentée dans son intégralité.

Nicolas Hubert, chorégraphe de la Cie Epiderme présente Saisons-f(r)ictions comme : « une étude chorégraphique, musicale, subjective et sensorielle sur les saisons.Comment les saisons nous traversent quand nous les traversons ? Qu’elles nous replient dans l’espace domestique ou qu’elles nous invitent à l’extérieur, les saisons marquent notre rapport aux autres et à l’espace. Elles sont aussi bien le temps qu’il fait que le temps qui passe : un temps cyclique et sensoriel qui traverse nos cellules, imprime nos corps, nos mémoires individuelles et collectives… la porte d’entrée d’un travail sensitif. Des saisons vues du corps, de la peau, de l’épiderme, des saisons fictives, fictionnelles, frictionnelles, des saisons-de-la-vie, des cinquièmes saisons, comme autant de métaphores des rapports humains.

Nos saisons f(r)ictions, versatiles et lunatiquesseront sujettes à dérèglements, l’espace du dehors s’invitant dans l’espace du dedans : le vent dans la maison, le social dans l’intime. »

Saisons-F(r)ictions, Cie Epiderme © Olivier Humeau.
Saisons-F(r)ictions, Cie Epiderme © Olivier Humeau.

Sur le plateau, un étrange décor, deux pyramides de murs ornés de papier peint désuet, l’un des pans se prolongeant en intérieur de cuisine avec évier et luminaire. Un espace intime post apocalyptique, une ruine d’appartement pénétré par le dehors en la présence sonore de feuilles mortes bruissantes au sol et bientôt d’une étrange créature hybride recouverte de fourrure. Nicolas Hubert, que l’on se réjouit de revoir au plateau et Giulia Arduca, forment un duo symbiotique où le terme d’épiderme prend tout son sens : peau sous les peaux de bêtes, peau contre peau, fourrure contre fourrure, toutes les déclinaisons possibles se présentent à l’imagination des danseurs qui donnent à voir et à ressentir un duo sensuel d’une organicité animale. L’hiver est là, avec sa nécessité de réchauffer les corps, une invitation à jouer la bête à deux dos sous les peaux, avec une belle poésie et une danse à la fois puissante et délicate, les physiques des deux interprètes se complètent merveilleusement à cet égard. Dans cette saison, on apprécie peu les distorsions sonores d’Emmanuel Scarpa, le troisième partenaire au plateau, musicien imaginatif voire expérimental dont les sons saturent l’espace et viennent se heurter à la danse, il nous semble que le son des feuilles au sol, voire le silence pourrait suffire ici tant la chorégraphie est puissante. Puis le printemps s’invite et ouvre l’espace scénique, les peaux se délestent des fourrures pour revêtir des matières légères et colorées alors que le décor s’ouvre dégageant un large espace. Emmanuel Scarpa entre alors en jeu jouant de radios dont il balade le son sur le plateau en de larges mouvements jusqu’à fixer une chanson printanière qui invite à la danse, permettant au duo de danseurs d’épuiser le motif de la ronde de façon quasi hypnotique avec une joie communicative. Après la lenteur hibernante de l’hiver, le printemps ravive les couleurs, excite les sens, provoque agitation et émotion dans un tourbillon chorégraphique dont l’apparente facilité cache une extrême rigueur, les danseurs tiennent un point central fixant leurs rondes autour de cet axe imaginaire, à chaque tour ils déclinent un nouveau mouvement de façon coulée presqu’invisible alimentant la ronde qui n’est jamais « ni tout à fait la même ni tout à fait une autre ». On glisse insensiblement dans l’été qui dénude les corps, qui se posent comme écrasés de chaleur dans une proximité frôlée, des postures de statues de plage, des caresses d’abandon portées par la judicieuse prestation d’Emmanuel Scarpa qui joue de galets frappés, de bruit d’eau, de percussions inventées pour créer une atmosphère sonore qui déploie l’imaginaire du spectateur. Oui, l’été s’invite ici avec sa langueur, son envie de paresser, ses corps livrés à la contemplation ou au jeu parce qu’on a le temps, parce que celui-ci s’étire et nous traverse différemment avant de nous faire basculer vers l’automne… saison inachevée dans la présentation mais dont on retiendra deux images fortes quasi cinématographiques, (que l’on aurait aimé en silence),  Giulia au corps abandonnée sur une chaise, seule dans l’espace resserré et redevenu intime d’une cuisine et Nicolas au loin, utilisant sa chaise comme support de transport pour une traversée lente, minutieuse dans le déploiement du corps jusqu’au bout des doigts qui s’articulent comme des outils de précision, une image quasi nostalgique d’un intime qui semble se désagréger, séparation des corps, absence des regards comme si l’usure du temps était à l’œuvre… mais pour le savoir il faudra attendre la première et voir la création dans son entier.

Un spectacle atmosphérique, qui réussit la prouesse de nous faire vivre en une heure les quatre saisons, et bien plus, car pour nous en l’état de ce que nous avons vu, il s’agit d’une belle réflexion sur l’intime, sa porosité avec l’extérieur et sa capacité à partager, traverser le temps.

 

saisons f(r)ictions – cie épiderme – teaser from Nicolas HUBERT on Vimeo.

Saisons-F(r)ictions

Chorégraphie Nicolas Hubert, en collaboration avec Giulia Arduca. Danse Nicolas Hubert, Giulia Arduca. Composition, batterie, percussions Emmanuel Scarpa. Lumière Sebastien Merlin. Son Pascal Thollet. Regard exterieur – dramaturgie Natacha Dubois.

Production Cie épiderme — création automne 2017—
Coproduction CCN2 Centre Chorégraphique National de Grenoble – direction Yoann Bourgeois et Rachid Ouramdane, dans le cadre de l’accueil studio 2017, La Rampe La Ponatière, Scène conventionnée danse et musiques, Echirolles (38). Le Pacifique l CDC Grenoble (38). Soutiens DDAC Haute-Savoie, Espace Paul Jargot / Crolles (38), Collectif Danse Rennes Métropole (résidences de création), mise à disposition de studios association Jazz et Cie / Cie Marie Lenfant, Cabaret Théâtre Dromesko, Compagnie Propos. Décors réalisés par les ateliers de création de la Ville de Grenoble.

La cie épiderme est soutenue par la Ville de Grenoble, le Conseil départemental de l’Isère, la Région Auvergne – Rhône-Alpes et la DRAC Auvergne – Rhône-Alpes (aide à la compagnie). Elle est compagnon de route du Grand Angle – Scène Rhône-Alpes / Voiron.

Création 2017, où et quand ?

1ère à la Rampe : le mardi 7 novembre 2017, 20h.

Jeudi 22 mars 2018 au Théâtre Jean Vilar – Bourgoin Jallieu

Pour en savoir plus sur la Cie Epiderme c’est ici !

Image de Une, visuel de Saisons-F(r)ictions, Cie Epiderme © Olivier Humeau.

 

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