Constanza Macras sonde les existences de sa troupe

Chez Constanza Macras, Argentine et Berlinoise d’adoption, il n’y a aucun interdit, aucune peur. La chorégraphe sociologue, résidente de la Schaubühne et parfois programmée au Maxim Gorki Theater, explore le corps au travers d’un langage fort, d’une identité gestuelle bien marquée. Ses thèmes de prédilection : immigration, ségrégation, devenir, mémoire. Retour sur sa toute dernière création in situ, I AM WITH YOU, programmée en deux cycles… dans le studio de répétition de sa compagnie DorkyPark, Klosterstrasse 44, à Mitte !

 

Hyoung-Min Kim, DorkyPark/Constanza Macras © Thomas Aurin

 

Pour la chorégraphe, il est important de se « rappeler que nous n’avons pas toujours été ce que nous sommes devenus aujourd’hui ». Partant de ce postulat, Constanza Macras nous présente le procédé créatif qui amène à l’élaboration d’une pièce. Elle guide ainsi ses danseur(s)es et les laisse s’évader dans l’espace, scruter l’essence du mouvement et dégager spontanément moult émotions. Solos, duos et ensembles (guidés par un.e meneur.se) s’enchaînent au rythme de bruits dérangeants. Au préalable, les protagonistes ont annoncé ce qu’ils allaient nous présenter et nous ont précisé comment ils se sont laissés inspirer par des  photos. Dotés d’un monde intérieur spécifique et d’une biographie singulière, ils font du « learn by watching » leur fer de lance.

Ana Mondini ouvre le bal. Hautement talonnée, la danseuse âgée foule le sol avec grâce. Tout en finesse, sa gestuelle s’entremêle, hésite, se répète. Aux côtés de Felix Saalmann, elle s’unit comme par fusion. Les corps se cherchent, chutent délicatement. Saccadés, les gestes se fluidifient au contact des chairs. Soudain, Hyoung-Min Kim dévale la diagonale, assise dans un siège de bureau à roulettes. Pétillante, improbable, la Sud-Coréenne envahit l’espace de sa simple présence. Le mouvement, perpétuel, oscille entre fluidité et secousses, cassage de chevilles et mains volatiles. Mention toute spéciale à Felix Saalmann qui organise le solo qui suit autour de sa main droite. Un breakdancer tout aussi aérien qu’ancré dans le sol, qui transfigure ses pensées en accents, inflexions non-identifiées : inouï.

 

Constanza Macras en répétition au Studio44 © Daniel Barth
Constanza Macras en répétition au Studio44 © Daniel Barth

Constanza Macras a toujours eu à cœur de mélanger les arts. Elle ne déroge pas à la règle dans I AM WITH YOU, en invitant son actrice fétiche Fernanda Farah. Pourvoyeuse d’idées et d’images éclectiques (voire trop énigmatiques), l’artiste brésilienne n’hésite pas à tourner en dérision le danseur, sorte de sujet spécial, non généralisable. Toute action devient pourtant danse : prendre sa douche, balancer ses talons aiguilles, écrire son nom « gestuellement »… Comme souvent dans d’autres pièces, Fernanda Farah occupe un rôle contrastant mais fonctionnel dans le symbolisme et l’imaginaire du danseur, originellement acteur.

Au chapitre « chant », la Japonaise Miki Shoji (danseuse à la force tranquille) chantonne de la pop de son pays pendant que Hyoung-Min Kim entonne des mélodies aussi mièvres que glaçantes (en Reine de la nuit de Mozart… la dernière mesure déraille savoureusement). La composition de sa chanson « I have a dream » évoque la vie de la danseuse sud-coréenne à Berlin : problèmes avec le fisc, agacement envers la mauvaise prononciation de son nom, etc. En transe, Nile Koetting paraphrase la chanson d’une chorégraphie morbide, ironique mais surtout flippante. Son numéro de contorsionniste dans un sac de courses est à la limite de l’insoutenable…

 

Ana Mondini, DorkyPark/Constanza Macras © Thomas Aurin
Ana Mondini, DorkyPark/Constanza Macras © Thomas Aurin

Constanza Macras captive, intrigue, même si on se perd souvent dans ce foisonnement de pensées, ce brouhaha corporel. I AM WITH YOU a le mérite de faire plus court que d’habitude. C’est toujours aussi insondable, mais on ne s’ennuie jamais.

 

OÙ ET QUAND ?

I AM WITH YOU de Constanza Macras avec les membres de la compagnie DorkyPark, Studio 44 Berlin. Cycle 1, du 27 au 29 avril. Cycle 2, le 30 avril (afterparty) et du 6 au 7 mai.

 

Crédits Image de Une : © Thomas Aurin

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