Métissage de matières et de cultures avec Annabelle Bonnéry

Après 15 jours de résidence au Pacifique-CDC de Grenoble, Annabelle Bonnéry livre 25 minutes de sa prochaine création Two, seul et se livre à des confidences sur les beaux projets qui s’offrent à la compagnie pour les trois prochaines années.

Mais avant de dévoiler ceux-ci, revenons sur l’expérience de cette présentation publique.

Expérience physique de différentes matières traversées : matière brute de la terre sous forme de magma, ou de briques dessinant un sol à la belle géométrie sur le tapis brun, matière sonore proposée par les deux musiciennes en live sur le plateau et par la voix de contre-ténor de Serge Kakudji interprétant le Stabat mater de Vivaldi, matière des corps des deux danseurs interprétant l’extrait proposé par la chorégraphe.

Two seul, Cie Lanabel (c) François Deneulin.
Two seul, Cie Lanabel (c) François Deneulin.

Dans cet extrait qui se situera plutôt au cœur de la future pièce, on est saisi par des images fortes, un espace de terre brute piétiné, chaotique comme une arène après le combat de lutteurs, proche de lui un large espace pavé de briques de terre brune formant comme un dallage géométrique qui pourrait être celui d’un espace intime, une estrade et un muret bas, autant d’éléments qui architecturent l’espace dans lequel deux musiciennes sont installées sur des chaises, non pas en fond de scène mais au tiers de celle-ci indiquant clairement leur rôle actif dans la pièce. Trois corps qui vont se mouvoir et dont les présences physiques impressionnent.

Et une voix qui brouille les frontières du genre, masculin-féminin ? L’oreille y perd son latin et se laisse guider par ce pont entre le terrestre et le céleste.

Two, seul, Cie Lanabel (c) François Deneulin.
Two, seul, Cie Lanabel (c) François Deneulin.

Sans dévoiler la beauté de la pièce sachez simplement que les métissages de matières s’y allient aux métissages culturels au sens large. Alliance du violoncelle et de l’accordéon, comme si le savant et le populaire enfin étaient réconciliés pour un stabat mater à l’audacieuse interprétation, force de la voix aérienne et cristalline sortie du corps puissant de Serge Kakudji, danses qui allient mouvements traditionnels africains et pure contemporain dans des dialogues où la sensualité résonne au-delà des représentations. Il ressort de tout cela une impression d’unité, un travail que les différents interprètes mènent dans un même élan créatif, dans un frottement entre les différents arts (on notera la musique de Thierry Ronget et l’œil de plasticien de François Deneulin) et dans une belle articulation des présences au plateau. Un dialogue fructueux entre danse, musique, lumières et scénographie qui abonde la matière pour former une pâte fluide et homogène.

Les Pieds sur terre, Cie Lanabel et les étudiants de l'Insa de Lyon (c) François Deneulin.
Les Pieds sur terre (2016), Cie Lanabel avec les étudiants de l’Insa de Lyon (c) Gilles Aguilar.

On l’aura compris, cette nouvelle pièce interroge la matière quelle qu’elle soit et s’inscrit dans une continuité avec le travail engagé par Annabelle Bonnéry avec le projet Amaco (atelier matières à construire porté notamment par les Grands Ateliers de Villefontaine) et plus particulièrement la section danse-études de l’Insa de Lyon dirigée par Delphine Savel, avec qui elle a créé Les pieds sur terre (2016) dans le cadre du festival Grains d’Isère. Travail autour de la terre crue dont l’aventure continue avec Terre en-corps qui conduit les interprètes à se confronter aux différents états hydriques de cette  matière, du poudreux au visqueux, travail qu’Annabelle Bonnéry reprend en solo dans sa nouvelle pièce.

Two, seul, Cie Lanabel (c) François Deneulin.
Two, seul, Cie Lanabel (c) François Deneulin.

Interrogée sur cette fascination pour la terre, Annabelle explique qu’au-delà de la confrontation physique avec une matière qui selon ses états va pouvoir être un partenaire de danse très différent, il s’agissait aussi de célébrer un matériau. En Afrique, où elle a beaucoup séjourné ces dernières années en lien avec des projets chorégraphiques et de formation notamment au sein du CDC-La Termitière de Ouagadougou, elle découvre l’omniprésence de la terre crue, dans l’air, dans les constructions, comme sol habituel y compris dans les villes où peu de voies sont bitumées. En France, si la brique de terre est cuite, elle est là aussi matière de construction et cela l’intéressait de métisser les usages et les représentations à travers une pièce chorégraphique. Là encore on retrouve une filiation, autour de l’axe du métissage culturel déjà très largement amorcé avec Atropos pièce née d’un séjour au Burkina et de sa rencontre avec le sculpteur Burkinabé Abou Traoré. Annabelle Bonnéry s’interroge sur le vivre ensemble au-delà des différences, elle s’intéresse au dépassement des représentations à l’acceptation des cultures ou à leur juxtaposition sans jugement. Il ne s’agit pas de gommer ce qui nous surprend, nous choque ou nous interpelle mais d’en exposer la richesse quitte à transformer notre rapport au monde. En réunissant sur un même projet des interprètes venant d’horizons très différents : les danseurs Nuria Navarra Vilasalo (Espagne), Romual Kabore (Burkina Faso), le chanteur lyrique : Serge Kakudji, contre-ténor (Congo), les musiciennes : Marie Ythier, violoncelle et Fanny Vicens, accordéon, le compositeur Thierry Ronget et le scénographe/galériste François Deneulin, la chorégraphe mettait déjà à l’œuvre son projet de métissage en provoquant une pluralité de paroles sur le plateau. Pluralité qu’elle considère comme nécessaire dans le processus de création comme cette idée de partage autour d’un projet qui la conduit à reprendre la même équipe pour se lancer dans une aventure qui cette fois va la tenir jusqu’en 2018.

Ce projet lancé par le préfet de l’Île de France en direction des zones de sécurité prioritaire (ZSP) consiste à associer un établissement culturel reconnu à un quartier classé ZSP. Ainsi le Théâtre de Chaillot est-il associé au quartier de la Goutte d’or du 18ème arrondissement de Paris. Didier Deschamps, directeur du Théâtre de Chaillot, a proposé à la cie d’Annabelle d’être le référent et acteur artistique sur ce projet intitulé, Chaillot en partage à la Goutte d’Or.

La chorégraphe implante donc ses quartiers à la Goutte d’Or pour des résidences plus ou moins longues, qui lui permettent de pénétrer la sociologie du quartier avec l’aide des habitants, des associations de quartier voire de structures comme l’Institut des cultures d’Islam et en appui sur la mairie du 18ème arrondissement qui a finalement été séduite par le projet proposé par la Cie.

Ce projet se décline comme une création participative, transdisciplinaire (danse, chant, musique, arts plastiques) associant les habitants du quartier toutes générations confondues et le Théâtre de Chaillot et son équipe.

La belle idée est de composer au terme des presque 3 années du projet, une fresque humaine bouillonnante à l’image du quartier de la Goutte d’Or. Quartier pluriculturel si il en est, quartier à la réputation parfois difficile mais d’une richesse incroyable en terme de structures associatives de tout ordre. Groupes de femmes, chorales ou orchestres, groupes de jeunes, groupes d’anciens, communauté de sapeurs, café social… Le travail de la compagnie et de l’équipe des relations publiques de Chaillot est de pénétrer le quartier de s’y rendre visible, d’entrer en contact avec ses différentes composantes et d’initier des temps de réflexion, d’appropriation puis de création avec les habitants du quartier pour aboutir à une représentation sur la scène de Chaillot.

Pour réaliser cette fresque humaine, la Cie souhaite partir des ressources locales comme les chorales ou les formations musicales afin de faire cohabiter musique traditionnelle et musique savante, utiliser des phrases entendues dans le quartier à l’image de la richesse et de la force des scènes de vie des œuvres de Bruegel l’ancien. Pour se faire, des ateliers sont prévus à Chaillot ou dans les associations du quartier, des événements marqueront des temps forts comme la Fête de la Goutte d’Or où des projets sont déjà envisagés autour des arts plastiques et de trois associations existantes, il est prévu de faire une coulée de bronze in situ (dans un jardin public du quartier) le 5 juillet prochain afin de réaliser une structure en trois parties dont chaque morceau sera placé dans des lieux symbolisant le maillage territorial (Chaillot, mairie du 18ème arrondissement, jardin public de la Goutte d’Or) idem pour le champ musical, Serge Kakudji a déjà rencontré certains artistes ou structures locales pour développer un travail musical ou choral commun, de même la Cie compte inviter les habitants du quartier dans un lieu public pour une soirée de partage convivial où une performance sera proposée. Ces actions menées entre  Chaillot et le quartier de la Goutte d’Or ont pour objectif de développer la participation artistique mais aussi technique nécessaire à la réalisation de la « fresque ». Ainsi il s’agit bien de mener un tissage social et artistique en vue d’aboutir à une œuvre commune. Une grande fresque humaine bâtie collectivement et qui prouve que le vivre ensemble quelles que soient les différences et les difficultés rencontrées est possible et enrichissant.

Annabelle Bonnéry en parle avec un enthousiasme communicatif d’autant qu’elle dit se sentir pour la première fois à un moment où tout fait sens, son travail de transmission, de chorégraphe et de danseuse, tout semble s’inscrire dans une continuité, une filiation qu’on a envie de suivre tant la réciprocité des apports semble à l’œuvre.

À suivre donc

Terre en -corps, Cie Lanabel et les étudiants en danse de L'Insa de Lyon (c) François Deneulin.
Terre en -corps, Cie Lanabel et les étudiants de L’Insa de Lyon (c) Grains de mouettes.

Terres en-corps

Performance déambulatoire avec les étudiants de l’Insa Lyon

Une création musicale sera réalisée par 4 étudiants de la section musique-études Insa Lyon accompagnée par le compositeur et musicien Thierry Ronget. Cette musique sera jouée en direct sur la scène.

Sous la direction artistique de la Cie Lanabel. Chorégraphie : Annabelle Bonnéry. Assistants : Jeanne Vallauri, Rolan Bon. Compositeur : Thierry Ronget. Scénographie : François Deneulin. Création lumière : Stéphan Meynet. Création costume : Alexandra Berthet

Création, les 10 et 11 mars 2017 La Maison de la Danse (Lyon), festival Sens Dessus Dessous

Two, seul, Cie Lanabel (c) François Deneulin.
Two, seul, Cie Lanabel (c) François Deneulin.

Two, seul

Nouvelle création de la Cie Lanabel.

Chorégraphie : Annabelle Bonnéry. Danseurs : Nuria Navarra Vilasalo (Espagne), Romual Kabore (Burkina Faso), Annabelle Bonnéry (France). Chanteur lyrique : Serge Kakudji, contre-ténor (Congo). Création musicale et direction musicale : Stabat Mater de Vivaldi d’après Serge Kakudji. Musiciennes : Marie Ythier, violoncelle et Fanny Vicens, accordéon. Composition musicale et réalisation sonore : Thierry Ronget. Création lumière : François Deneulin et Claire Villard. Création costume : Kathy Brunner. Scénographie : François Deneulin. Avec le regard complice de Delphine Savel.

Coproduction : Théâtre national de Chaillot, Hessische Staatsballett et Staatstheater Darmstadt/Wiesbaden, Espace Malraux/Scène nationale de Chambéry et de Savoie.

Création, les 11 et 12 avril 2017 Hexagone Scène nationale Arts – Sciences (Meylan)

4 et 5 novembre 2017 – Staatstheater de Darmstadt Wiesbaden,

11 et 16 décembre 2017 – Festival Dialogue de corps (Ouagadougou) et Institut français de Bobo Dioulasso (Burkina Faso)

15 au 17 février 2018 – Théâtre national de Chaillot

Two seul, Cie Lanabel (c) François Deneulin.
Two seul, Cie Lanabel (c) François Deneulin.

Chaillot en partage à la Goutte d’or

Ce projet transdisciplinaire s’articulera entre danse contemporaine, musique et arts plastiques conduits par la collaboration des artistes : Annabelle Bonnéry, danseuse et chorégraphe intéressée notamment par la mise en valeur du geste quotidien vers le mouvement dansé. Serge Kakudji, chanteur lyrique travaillant autour de la rencontre entre musique traditionnelle et interprétation lyrique. François Deneulin, scénographe et galeriste, agité par l’intervention plastique en tout lieu et Sandrine Maisonneuve, danseuse impliquée dans des projets participatifs. Accompagnée d’une équipe très engagée à Chaillot.

nov. 2016 – déc. 2018 (Paris)

En savoir plus sur le travail d’Annabelle Bonnéry et la Cie Lanabel c’est ici !

Image de Une, visuel de Two seul crédit photo François Deneulin.

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