Depuis Masse programmé en 2013 dans l’antre techno du Berghain, il aura fallu attendre quatre longues années pour que des danseurs du Staatsballett de Berlin se reconvertissent en chorégraphes. Au programme de ces deux soirées qui ont eu lieu à l’arrière de la Deutsche Oper, à la Tischlerei, neuf pièces alliant compositeurs et pirouetteurs. Deux bémols : une seule chorégraphe parmi ces messieurs et aucune pièce chorégraphiée sur pointes…
La pièce de Xenia Wiest est indéniablement le moment fort du programme. La chorégraphe aime enrouler les corps d’où éclosent des mouvements liés et précis mais jamais brutaux. Notez que sa pièce To Be Continued, sur la musique de Patrick Soluri, créée à la Komische Oper en 2006, a remporté le 1er Prix du concours des jeunes chorégraphes en avril 2016 ! L’unique touche féminine de la soirée étonne à nouveau en nous proposant Distant Relatives. Une pièce dédiée à sa famille qui aborde le thème de l’acceptation de l’autre tel qu’il est. Weronika Frodyma, Mari Kawanishi et Federico Spallitta, affublés de charmantes culottes poilues (félicitations à Melanie Jan Frost pour les costumes !) évoluent dans l’espace tels trois singes amis et interdépendants. Un instant dansé qui se révèle être aussi drôle que léger.
Vladislav Marinov, quant à lui, nous éblouit avec son Tatischeff, rythmé par les beats de Kristian Beier et Frank Wiedemann. Dominic Whitbrook y occupe la scène de mouvements continus. À la fois fluide et mécanique, son corps sexy s’ondule avec agilité, très attiré par le sol. Les pièces de l’Ukrainien Taras Bilenko et de l’Argentin Joaquín Crespo Lopes se rapprochent en genre. La musique y joue un rôle prédominant, les deux chorégraphes tentant de traduire la musicalité en mouvement. C’est mieux réussi chez Joaquín Crespo Lopes qui nous embarque dans un voyage intimiste, sur une partition de Bach (interprétée en live !), au cœur d’un couple (Maria Boumpouli et Dominic Hodal) qui s’entrechoque, entre fougue et sérénité. Les créations de Paul Busch, Olaf Kollmannsperger et Lucio Vidal m’ont moins emballée : de puissants danseurs soumis à des chorégraphies kitsch, obscures et pseudo futuristes, dépourvues d’originalité à mon sens. Mais il en faut pour tous les goûts !
Remarqué lors du dernier Concours de chorégraphie de Berlin TANZOLYMP, Alexander Abdukarimov met cette fois-ci l’accent sur la scénographie. Weronika Frodyma et Cameron Hunter se jettent dans les bras l’un de l’autre : c’est simple et torturé à la fois, tout en spiritualité. Deux autres protagonistes (Pamela Valim et Joaquín Crespo Lopes) les suivent du regard, masqués. Le propos rappelle Le jeune Homme et la mort de Roland Petit, en plus russe donc moins épuré, et la partition de Schubert (Quintette à cordes en ut majeur) ajoute à l’ambiance pesante une touche d’intensité. Les expressivités exacerbées se lisent sur les visages tristes des couples, tout en émoi, pendant qu’une goutte d’eau ne cesse de tomber du ciel… Notez également la pièce M.U.S.A. de l’Arménien Arschak Ghalumyan, allégorie de statues perdues au fond de l’océan, et surtout le trio d’une délicate profondeur et savoureusement ponctué, interprété par Pauline Voisard, Ulian Topor et Artur Lill.
On retiendra la puissance technique des danseur.e.s, façonnés par ces jeunes chorégraphes : il y a bien là le souci de travailler les corps dans le moindre détail, de ne négliger aucun muscle, aucune articulation. Mais si les pièces présentées se différencient par leur propos, leur vocabulaire a bien du mal à s’évader du style néo-classique duatesque. À mûrir donc.
OÙ ET QUAND ?
Tryout: Dance\\\Ruption, Tischlerei de la Deutsche Oper Berlin. Les 4 et 5 mars 2017
Crédits Image de Une : © Yan Revazov