Le répertoire du Ballet de Munich est vaste, des romantiques (Giselle, La Sylphide) aux classiques (Le Lac des cygnes, Don Quichotte, La Bayadère…), en passant par des ballets de John Cranko (Roméo et Juliette, Onéguine…), de Frederick Ashton (La Fille mal gardée) et de John Neumeier (Songe d’une nuit d’été, La Dame aux camélias…). Une liste interminable d’autres chorégraphes compose le répertoire munichois : George Balanchine, William Forsythe, Jiří Kylián, Hans van Manen, Twyla Tharp, Lucinda Childs, Angelin Preljocaj, Mats Eks, etc. En début de saison, le Tchèque Ivan Liška (aux commandes de la compagnie depuis 1998 !), a laissé sa place au danseur russe Igor Zelensky. Une prise de fonction très controversée qui a provoqué, entre autres, le départ du couple phare Lucia Lacarra & Marlon Dino (et presque de la moitié des danseur.e.s)…
Mais l’ancien directeur du Théâtre Stanislavski ne s’en est pas laissé compter et a osé en programmant notamment Alice im Wunderland de Christopher Wheeldon (qui ouvrira la BallettFestwoche en avril) et Spartacus, époustouflant ballet-peplum chorégraphié en 1968 par Youri Grigorovitch. Ce ballet grandiloquent au possible, monument de l’ère soviétique, se compose de trois actes. Il raconte le soulèvement des esclaves, mené par le gladiateur thrace Spartacus, héros historique devenu personnage mythique, contre la République Romaine. Une œuvre (trop) peu sinon jamais programmée en Europe, même si vous avez toutefois pu apprécier, en 2013, la retransmission de la représentation du Bolchoï au cinéma.
Le premier acte s’ouvre sur l’entrée triomphale du général consul Crassus (Erik Murzagaliyev, classieux et belliqueux demi-soliste) à Rome. Parmi ses captifs, Spartacus (Osiel Gouneo) et sa femme, Phrygie (Ivy Amista). Dans l’arène, Spartacus tue un de ses amis : l’horreur de ce crime exacerbe sa haine et son désir de révolte. Il réussit à convaincre ses compagnons esclaves de se révolter. Spartacus défie alors Crassus, qu’il vainc en duel. Il lui laisse cependant la vie sauve. Mais la belle et manipulatrice Égine (Prisca Zeisel), concubine de Crassus, endormira la vigilance des révoltés et Crassus, grâce à son espionne féline, écrasera la rébellion. Un hymne à la liberté opprimée inégalé, qui incarne les aspirations d’un peuple, d’un monde (peut-être pas si) révolu aujourd’hui, où bourreaux et victimes se font face jusqu’aux saluts.
Une fois n’est pas coutume, Spartacus est avant toute chose un ballet dédié à ces messieurs : une véritable démonstration de puissance qui transpire follement la testostérone. Prenez la puissance des grands jetés, la justesse des équilibres et l’accentuation des pirouettes du Cubain Osiel Gouneo (Spartacus) : sa générosité virile ne laisse aucun être humain indifférent ! Ses muscles saillants et son interprétation éloquente transportent l’assemblée à très juste titre. Notez également la virtuosité du trio de bergers à l’acte II et, notamment, le charisme de Gianmarco Romano, danseur du Corps de ballet qui devrait gravir très vite les échelons !
Au premier acte, la demi-soliste autrichienne Prisca Zeisel n’est pas assez fatale à mon goût. Elle gagnera cependant en sensualité dans les actes suivants. Techniquement, rien à redire (peut-être un peu indécise dans sa diagonale de pirouettes attitudes suivies de posés piqués, mais il faut avouer que c’est chorégraphiquement « tordu » !) : souplesse, envol, vivacité de bas de jambe et cou-de-pied à se damner ! Sa variation au bâton à l’acte III, étonnement érotique pour l’époque soviétique, rappelle les numéros de contorsion de pole dance. À la fois lascive et cruelle, Prisca Zeisel s’enroule autour de son bâton (aussi fameux symbole phallique…) avec ostentation, en évoluant au milieu d’une bacchanale orgiaque.
Le dernier acte est marqué par le Pas de deux de Spartacus et Phrygie, alliance de pureté et de force. D’un lyrisme demeuré célèbre, cette déclaration d’amour nous emporte avec fougue et tendresse sur une langoureuse partition de Aram Khatchatourian. Les portés spectaculaires s’allient à merveille aux pauses parallèles et épurées. On pourrait cependant reprocher à la soliste brésilienne Ivy Amista de n’être plus trop dans ses chaussons. Les équilibres de son solo sont un peu hésitants (même si ses jambes demeurent savoureusement déliées) : il faut dire qu’elle a eu le temps de se refroidir entre l’acte I et III. Le ballet se clôt sur l’assassinat de Spartacus. Son corps est porté au sommet d’une pyramide de lances qui le transpercent. Le tableau final, d’une beauté à couper le souffle, immortalise à jamais la douleur de Phrygie, pleurant son mari défunt.
Grigorovitch se revendique d’un « théâtre dansé, où les sentiments sont grands, les heurts violents, l’action énergique ». Spartacus est en effet un ballet aux couleurs fortes, une fresque violente au cours de laquelle le chorégraphe-architecte déploie avec subtilité des ensembles, à la technique écrasante et aux lignes minutieusement cadrées. Le style peut étonner par son exacerbation, l’esthétisme déplaire par son kitsch, le mouvement énerver par sa répétition. Spartacus m’a charmée par sa désuétude. Unique, indiscutable, le vocabulaire russe demeure et, quand celui-ci est épuré à l’occidental, je ne peux que saluer cette entrée au répertoire du Ballet de Munich, signée Igor Zelensky. Une ouverture d’esprit qu’il serait judicieux de cultiver dans d’autres Staatsballett…
Trailer de Spartacus par le Bayerische Staatoper
OÙ ET QUAND ?
Spartacus, Bayerisches Staatsballett, Munich. Les 4, 6 et 10 mars 2017
Crédits Image de Une : Ivy Amista (Phrygie) © Wilfried Hösl