Le corps de la ville, web série de Nicolas Habas

En l’occurrence la ville c’est Lyon, c’est là que Nicolas Habas, le concepteur et réalisateur de la web-série Le corps de la ville a ses quartiers. Pas très loin de la célèbre Brasserie Georges, le studio du collectif Un poil court m’ouvre ses portes. Nom gentiment ironique car si les moyens, subventions, soutiens sont parfois un poil court, si les formats choisis jusqu’à présent sont plutôt courts eux-aussi, on ne manque ici ni de talent ni de passion ni de convictions.

Nicolas Habas portrait de Margot Raymond.
Nicolas Habas portrait de Margot Raymond.

Nicolas Habas, vient du cinéma, d’abord comme scénariste et réalisateur de plusieurs courts métrages de fiction dont Le mal de Claire, diffusé sur France 3 et de documentaires (La Parole en chantier, triptyque sur un quartier populaire en renouvellement urbain), il est très intéressé par les liens entre société, géographie et donc territoire. Fort d’un apprentissage d’autodidacte qui le mène à une compréhension des codes du métier, il s’en éloigne décidé à trouver « son » cinéma, considérant que le système de fabrication des films conduit la plupart du temps à faire des films « gentillets » et persuadé que le système de financement du cinéma traditionnel, par ailleurs vertueux, ne permet pas de développer une œuvre  atypique… Ce qui est dommage, car si l’on admet que le court-métrage n’a pratiquement pas de valeur marchande, il pourrait être un véritable terrain de jeu, tant sur le fond que sur la forme. Le court métrage devrait permettre d’oser ce qu’il est logiquement plus difficile de tenter sur un long métrage, parce que la pression devrait être proportionnelle aux enjeux financiers. Or ce n’est plus le cas. Conscient d’une forme d’absurdité du système, le réalisateur décide de penser les choses autrement : être plus autonome pour pouvoir se développer.

Kevin Mishel et Nicolas Habas sur le tournage du corps de la ville à la Rochelle photo
Kevin Mischel et Nicolas Habas sur le tournage du Corps de la ville à la Rochelle photo Olivier Jaricot.

Nicolas Habas parle avec la lucidité de qui a atteint une étape de maturité dans son parcours d’artiste et les liens se tissent doucement entre son expertise de réalisateur, sa volonté de développer des projets qui échappent aux formats traditionnels et un autre champ artistique qui est la danse. Il avoue que ne pas être danseur reste une de ses grandes frustrations, que son tout premier film est un film de danse (Marie au Parc, 7’, autoprod.) et que cette forme artistique lui semble propice à créer quelque chose de poétique, à la fois profond et ludique et qui questionne aussi les outils du cinéma. Laissons-lui la parole :

La danse m’est apparue comme une évidence, comme le complice rêvé du cinéma, avec encore beaucoup d’espace à défricher et l’engagement des danseurs me semble quelque chose de formidable qui me tire vers l’avant, vers plus d’exigence. Entre parenthèses, je trouve les danseurs beaucoup plus impliqués dans le monde que les cinéastes. Ces derniers tentent parfois de montrer le monde mais sont souvent décalés du fait du modèle de fabrication qui est très lent. Les danseurs sont en phase avec les évènements, il y en avait place Syntagma en Grèce, il y en a en Tunisie qui dansent avec des caméras cachées, il y en a même qui se filment dans les ruines de Gaza. L’engagement du danseur dans la cité me paraît très fort. Comme déterminant de sa condition de danseur. Et puis cette dimension périssable du corps, rend tout cela très émouvant.

Repérages à la Rochelle pour Le corps de la ville photo
Feddy Houdekindo,  Le corps de la ville, photo Nicolas Habas.

Ainsi à un moment donné il y a eu comme un faisceau de convergences qui m’a amené là et je n’ai plus tellement envie d’en bouger, j’ai l’impression de faire des films pour aujourd’hui et je les fais vite, ce qui est très excitant. J’ai toujours dans mon travail eu la volonté d’aller vers le public et aussi de mener une réflexion sur comment incarner, révéler, formuler un territoire, sa population, essayer de sortir des clichés, comment vraiment partager quelque chose aussi, au delà de l’objet film proprement dit.

Justement ce qui me semble intéressant dans votre web-série Le corps de la ville, outre son titre, c’est la façon dont vous intégrez la danse dans un territoire, ce qu’elle révèle de celui-ci mais aussi  des corps qui l’habitent,  le traversent, s’y posent, s’y reposent ou le transforment par leurs déambulations voire la nouvelle topographie qui se dessine à travers leurs chorégraphies.

Oui, c’est un sujet très riche, c’est la question de l’espace public et des limites que l’on s’y impose : qu’est-ce qu’on provoque, jusqu’où on va, etc. Mais même si La web-série Le corps de la ville travaille une matière documentaire, c’est vraiment de la fiction qui questionne la forme cinématographique, ce n’est pas du clip non plus, et ce n’est pas juste quelqu’un qui filme un danseur dans un endroit sympa.

Un point sur lequel je ne déroge jamais c’est celui de l’écriture, même si le cadre narratif est souple et laisse de la place pour inventer pendant le tournage, il y a un travail formel d’écriture car il y a une exigence de cinéma derrière tout ça. C’est un hommage aux fondamentaux du cinéma. Dans cette web série, on tente de faire se télescoper le cinéma des Frères Lumières et celui de Georges Méliès. C’est une exigence qu’on essaie de porter aussi en terme de production, de diffusion et de financement, c’est pour ça qu’on respecte une certaine forme de chronologie des médias puisqu’on présente d’abord nos films en public et qu’on les intègre ensuite au site sur internet.

Il y a toute une mécanique qui se crée à partir d’Internet sachant que l’on est à environ 3000 vues par vidéo pour l’instant, qu’il n’y en a que 5 en ligne et que notre campagne de financement participatif nous a depuis aidé à constituer un public. On souhaite donc développer notre public et se financer en amont en trouvant des partenaires pour l’instant par le biais de résidences. On aimerait vraiment développer le projet en appui sur des structures existantes dans les lieux qui nous intéressent et développer une logique de tissage de partenariat à long terme. L’objectif étant que la série ne s’arrête jamais.

De ce point de vue-là, le partenariat avec le CCN de La Rochelle a été formidable puisqu’il nous a permis de présenter la saison 1 dans son intégralité lors du festival international du film de La Rochelle, avec des retours incroyables. Saison que nous avions déjà pu diffuser lors de ciné-concerts à Lyon.

Kader Attou et Nicolas Habas pour Le Corps de la ville à La Rochelle photo
Kader Attou et Nicolas Habas pour Le Corps de la ville à La Rochelle photo Hélène de Fontainieu.

Chaque année on aimerait faire danser un grand danseur qui ne danse plus, pour La Rochelle on a fait danser Kader Attou, on espère en convaincre d’autres. Puis faire danser des corps différents de ceux que l’on voit habituellement sur les plateaux d’où le recours à des non professionnels, il y a aussi cette idée d’aller à la rencontre de danseurs parfois isolés, comme le travail qu’on a fait avec Benjamin Cortes qui habite dans la montagne en Aragon, que personne n’a vu et qui pourtant est fabuleux. Une volonté aussi de collecte de l’histoire des danses un peu partout et donc une volonté d’ouvrir le projet à l’international si l’on peut et de développer une sorte de cartographie qui permettrait de voir comment le hip hop en France est différent du hip hop en Allemagne ou est-ce que la danse contemporaine est la même ici qu’en Espagne, etc. ? Comment la danse investit l’espace public ici ou ailleurs comment cet espace se vit différemment selon les pays.

En fait avec ce projet, on a l’impression d’avoir découvert une pierre philosophale ou une corne d’abondance en terme artistique… en terme de financement on verra bien mais pour moi au bout de 15 ans de pratique c’est comme si j’avais traversé le cinéma traditionnel pour arriver à cet endroit-là et que c’est vraiment le mien. Il y a quelque chose de très fort qui se passe avec la danse et je ne souhaite pas m’arrêter. Le corps de la ville c’est notre petite forme qui nous permet de rencontrer des gens, d’affirmer et d’assumer notre différence et de créer un public mais l’objectif serait de pouvoir à terme créer des formes avec 10, 15 danseurs et d’y réinsuffler du récit. Et bien sûr de faire exploser la durée donc de passer du court métrage au long si on en a la possibilité.

Pour l’instant comment fabriquez-vous la série ?

Cela dépend des épisodes, mais le schéma traditionnel c’est : soit un danseur professionnel (accompagné ou non par un chorégraphe), soit un groupe d’amateurs accompagné par un chorégraphe (généralement l’interprète de l’épisode précédent). En général on a une journée de construction dans l’espace, parfois un temps de répétition pour le danseur et d’écriture à la table pour moi puis une journée de tournage.

Le dispositif c’est un réalisateur-cadreur et un danseur qui écrivent ensemble et au tournage un ingénieur du son qui fait des prises directes ce qui nous permet le cas échéant de ne pas ajouter de musique. Je fais ensuite le montage moi-même, que je confie une fois terminé au compositeur. La logique de tout ça, c’est qu’il s’agit de cinéma et non de vidéoclip, que le son ambiant nourrit le danseur et le film. De plus l’objectif est de faire des ciné-concerts  donc pour chaque film il y a une version musicale et une version sonore mais sans musique.

Le Corps de la ville, La Rochelle photo
Meggy Laventure, Collectif Ultimatum,  Le Corps de la ville, La Rochelle photo Floriane Rigaud.

La rencontre se termine par le visionnage des épisodes de la première saison que je découvre avec bonheur ayant vus les premiers épisodes en ligne sur le site du Corps de la ville.  Vous pourrez désormais les suivre à votre tour et à votre guise sur le site dédié ou ici sur cccdanse qui a décidé de devenir partenaire de diffusion de la web-série. Tous les soutiens sont bienvenus pour assurer longue vie à ce projet qui touche au cœur et au corps des gens dépassant la communauté des danseurs.

Danser selon ses moyens, danser pour dire ce que l’on est, ce que l’on vit et transformer nos quartiers en plateaux poétiques. Une belle incarnation de nos territoires urbains !

 

Découvrez en exclusivité sur CCCdanse l’Episode #5 du Corps dans la Ville

Plus d’infos studio unpoilcourt et Le corps de la ville

Image de Une,  le jeune homme en lévitation s’appelle Johao Da Silva (collectif Ultimatum), il a 11 ans. Photogramme tiré de l’épisode #10 du Corps de la ville.

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