Je vous avais parlé de la création précédente « After » comme d’une excellente surprise. C’est que dans le paysage chorégraphique français, je vais le dire très honnêtement et au risque de déplaire, on se demande parfois où se situe la compétence chorégraphique à proprement parler lorsqu’on constate que les auteurs n’ont ni la maîtrise de la danse dont ils laissent la charge entièrement à leurs interprètes (qu’il s’agisse de la génération du matériel, ou de sa transformation pour la pièce et son interprétation à proprement parler une fois généré), ni de sa structuration qui laisse place à un simple collage de séquences sans saveur et surtout sans la marque de l’écriture d’un auteur, ni de l’instrumentarium technique qui bien plus que de simplement envelopper la danse sur scène peut idéalement en être le partenaire dramaturgique. Non ils ont tout au plus la maîtrise du discours sur leur pièce… que celui-ci se manifeste ou non réellement sur scène… Puis bingo, arrivait « After » et une chorégraphe qui manifestement maîtrise ces 3 points devenus étrangement rares. Du coup, je l’admets, j’en attendais beaucoup de cette seconde création. Alors, quitte ou double ?
J’aime le suspens dont il faudra attendre la fin pour le savoir. Tout d’abord on retrouve ce qui se révélera peut-être un leitmotiv dramaturgique puisque sur « Twist » plane aussi un non-dit, « il s’est passé quelque chose » encore une fois, dont on ne dira rien mais qui s’engouffre dans toute l’atmosphère de la pièce. Ce quelque chose est personnifié un temps dans la présence d’un tiers, le musicien live Arthur Bison dont les passages au plateau éveillent la curiosité sans laisser place à une impression de simple errance désordonnée ou mal assumée. Il l’est aussi dans une atmosphère sonore récurrente, dans les masquages lumineux, dans les frontières du décor. Bref… on retrouve l’engagement de la chorégraphe à interrompre le cours réel de la vie pour nous embarquer dans une pièce qui est un monde en soi. Mais la danse dans tout ça ?
De ce côté la pièce connaît sans doute un highlight dans le solo de Jérémy Deglise (son solo était aussi mon petit highlight personnel dans la pièce précédente). C’est sans doute un des meilleurs interprètes masculins du moment, ce garçon qu’il parle, chante, bouge, danse, whatever?, il est fait pour être sur scène et dès qu’il y est il nous le fait sentir parce qu’il est tout simplement juste. Marie Barbottin n’est pas en reste dans son solo, comme en réponse à son partenaire, qui a ceci d’étonnant qu’elle y dégage une puissance très terrienne quand son solo de la pièce précédente usait d’un rapport au sol beaucoup plus léger avec la tête pour stabiliser. Du coup j’avoue avoir eu l’occasion d’être surpris par une interprète dont je ne connaissais pas cette palette !
C’est donc tout le mal que je souhaite encore une fois à Johanna Levy que sa pièce séduise suffisamment les programmateurs pour s’affûter comme seule la représentation publique le permet. Avec « Twist » elle double la mise et me permet de confirmer cette représentation à venir au Théâtre Berthelot comme la suggestion de la semaine. Vous l’y retrouverez en compagnie de toute son équipe et d’ailleurs, alors que je regrette régulièrement de constater l’absence jusqu’au nom des interprètes sur les documents de promotion des pièces chorégraphiques, j’aimerais souligner combien il est plaisant de rencontrer une chorégraphe qui cite systématiquement l’ensemble de son équipe lorsqu’elle communique sur son travail.
Twist, samedi 17 mars, à 21h au Théâtre Berthelot, Montreuil
Chorégraphe : Johanna Levy. Danseurs : Marie Barbottin, Jeremy Deglise. Musique originale et live : Arthur Bison. Création lumière et scénographie : Nieves Salzmann. Conception Son et Régie Son: Nicolas Martz. Costumes : Clémentine Rousselot. Images : Julien Dara/Simon Dara (The Ordinary).