C’est par cette phrase belle, poétique et intrigante que Christophe Béranger et Jonathan Pranlas-Descours, les deux chorégraphes de la compagnie Sine qua non art nous introduisent dans leur nouvelle création.
Phrase titre d’un ouvrage co-signé par un autre duo, le photographe Édouard Boubat et l’écrivain Christian Bobin, Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas, ouvre l’imaginaire vers des univers que les deux chorégraphes n’avaient pas encore vraiment explorés.
Après avoir remporté le 1er prix du concours [re]connaissance 2014 avec des Ailleurs sans lieux (en version courte, la version longue étant créée en janvier 2015), où le quatuor qu’ils formaient avec la danseuse I Fang-Lin et la violoncelliste Pascale Berthomier explorait la liaison corps-voix-instrument de musique dans un étrange dialogue, puissant et haletant, le duo propose en juin 2014 Exuvie une exploration de la matière en s’immergeant dans de la cire chaude qui recouvre leurs corps de chrysalides ou de suaires.
Pour cette nouvelle création, en partie dévoilée, lors d’une répétition publique à l’issue de deux semaines de résidences au Pacifique – CDC de Grenoble, on retrouve les deux chorégraphes et trois autres danseurs formant un quintet, de 3 garçons et 2 filles, accompagné en live par les musiciens Yohan Landry, Damien Skoracki.
Pour cette présentation d’un état de la création, les chorégraphes ont choisi de montrer trois extraits, il est donc difficile de préjuger de ce que sera la proposition finale mais il y a déjà une atmosphère, une énergie, un propos qui nous conduisent dans des territoires que l’on a envie de découvrir davantage.
L’atmosphère particulière qui saisit le spectateur est créée par un sol réfléchissant comme un miroir et par la présence à un mètre au-dessus de celui-ci de dizaines de couteaux comme autant de flèches pointant vers le sol. Cette nappe suspendue forme un labyrinthe de vif argent lançant des éclairs et multipliant en éclats kaléidoscopiques les visages ou les gestes des danseurs. Un espace, contraint, limité, et d’une surprenante beauté, à la fois fragile et menaçante. Une allégorie puissante de nos parcours de vie, des territoires que nous habitons, animons, ou laissons en friche. Un danseur exprime cette difficulté à être, à vivre et à laisser une trace : « Je voulais, j’aurais aimé, j’avais envie… » témoignant de la difficulté à exister, alors qu’une autre viendra égrainer des dates, qui ne sont rien pour le spectateur puisqu’elles restent étrangement muettes dans leur signification malgré leur extrême précision : un jour, une heure, un lieu, témoignant d’un vécu qui n’appartient qu’à celui qui l’énonce jusqu’à l’irruption de l’ici et maintenant convoquant le public à ce qui se déroule sur le plateau.
Levée lente et continue des couteaux qui libère peu à peu l’espace où évoluent les danseurs, d’abord au sol dans un alignement d’unisson formant une chaine de bras animée de mouvements répétitifs et quasi hypnotiques. Les propositions gestuelles sont conduites jusqu’à leur épuisement pour soudain comme par magie se transformer en autre chose. Cette installation dans la répétition conduit les corps à un état de quasi transe renforcé par la musique qui déroule en boucle le même motif. Vision de papillons cloués au sol, qui s’échappent par la bande. Le jeu d’alternance entre le travail d’unisson du quintet et les différentes figures possibles des duos, solos et trios introduit différentes énergies et couleurs dans la chorégraphie soutenues par une musique live qui se livre à un subtil compagnonnage.
On retient de cette présentation de beaux moments d’émotion :
Moment de trouble lorsque les danseurs se dévoilent les uns, les autres soulevant leurs oripeaux pour mettre à nu la peau, les muscles, les corps dans leur singularité.
Moment d’humour lorsque la chorégraphie se transforme en parade martiale et que le quintet abandonne un danseur au champ miné du labyrinthe de couteaux.
Moment de cinéma lorsqu’un autre se joue des couteaux comme d’un partenaire et que l’on pense au Secret des poignards volants et aux chorégraphies de combats chères aux films chinois.
Moment de partage de mémoire et de rites lorsqu’un Haka se transforme en comptines pour enfant et que la ronde devient presque une danse macabre, scandant « le bruit court dans la ville que demain vous mourrez »
Moment glamour lorsque les glissements des pieds des danseurs transforment le sol en platine géante sous la boule à facette éclatée des couteaux suspendus.
Moment de pure jubilation dans la jouissance d’un salut répété qui donne à vivre l’être ensemble…
Voilà quelques émotions reçues au regard de ces extraits choisis par les chorégraphes pour présenter leur nouvelle création. Autant de choses qui ne meurent pas mais s’impriment et résistent une fois la musique tue, et le plateau déserté.
Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas
Concept – Chorégraphie – Scénographie, Christophe Béranger, Jonathan Pranlas-Descours. Performance – Danse, Christophe Béranger, Jorge Moré Calderon, Virginie Garcia, Jonathan Pranlas-Descours, Francesca Ziviani. Musique originale – Live, Yohan Landry, Damien Skoracki. Création lumière, Olivier Bauer. Construction décors – Régie technique, Gregory Fradin.
Administration de production, Denis Forgeron. Production, SINE QUA NON ART. Coproduction et Résidence, CCN Ballet de Lorraine – Nancy (accueil studio), VIADANSE – CCN Belfort (accueil studio), Ballet du Rhin – CCN Mulhouse (accueil studio), Le Pacifique CDC – Grenoble, Pole Sud CDC – Strasbourg, La Coursive – Scène Nationale de La Rochelle, Le Manège – Scène Nationale de Reims. Coproduction, Le Gymnase CDC – Roubaix/Lille. Avec le soutien de Beaulieu – Poitiers, la compagnie SINE QUA NON ART est conventionnée par la Région Poitou-Charentes et reçoit le soutien de la Ville de La Rochelle.
Premières, mardi 15 et mercredi 16 novembre 2016 à 20h30 Le Manège, Scène Nationale de Reims
Le 18 novembre 2016 à la scène nationale d’Orléans
Le 22 novembre 2016 à Pôle Sud CDC à Strasbourg
Les 1er et 2 février 2017 à La Coursive, scène nationale de La Rochelle
Février 2017 Les Hivernales à Avignon
Avant cela rendez-vous le 3 juin 2016 au Point Ephémère à Paris, à 21H00 pour une performance « HorsFormat#4 » que les chorégraphes donneront dans le cadre du Festival Petites formes D-Cousues
« Projet in situ, moment d’expérimentation, les chorégraphes Christophe Béranger et Jonathan Pranlas-Descours investissent la salle d’exposition avec une performance alliant corps et espaces sonores, accompagnés du danseur Jorge Moré Calderon et du musicien Damien Skoracki. Quand la musique live rencontre les corps en performance. » 21h – salle d’expo – 20’ – danse – entrée libre
Pour en savoir plus sur la compagnie SINE QUA NON ART
Image de Une, Donne moi quelque chose qui ne meurt pas, Cie SINE QUA NON ART tous droits réservés.