Alexandre Fandard est un chorégraphe discret, on peut le croire timide, il est surtout sensible et dans une quête permanente pour enrichir, parfaire la matière chorégraphique qui lui sert de médium pour poser sur scène les questions qui le traversent. Artiste largement autodidacte même si il cite Brett Bailey pour qui il a fait de la figuration et les deux chorégraphes Radouane El Meddeb et Fouad Boussouf chez qui il a fait quelques incursions comme interprètes.
Alexandre Fandard a peu fréquenté les cours de danse, il développe son propre vocabulaire en se nourrissant de rencontres qu’elles soient intellectuelles, Michel Foucaud, Antonin Artaud ou Deleuze ou physiques notamment à travers la collaboration entamée avec Leïla Ka, croisée lors d’un festival Lucky Trimmer où chacun était invité pour un solo. Alexandre avoue se nourrir aussi de la peinture qu’il pratique, il décrit son travail de chorégraphe avant tout comme celui d’un peintre. Attentif à l’espace, au cadre, à la lumière, aux détails… Il dit créer d’abord l’image dans son esprit pour “charger le mouvement”, la chorégraphie vient ensuite.
Une chorégraphie qui se déploie entre précision de l’écriture et ouverture improvisée à l’intérieur de cadres rigoureusement pré-établis. Son premier solo remarqué, Quelques uns le demeurent, primé par trois prix internationaux et qui lui permet d’être lauréat du dispositif Forte 2018, abordait la question de l’altérité à travers l’état de névrose et jusqu’à la folie. Une façon d’approcher de façon très intime la dualité de chaque être, de naviguer sur la limite étroite entre normalité et folie. Un exercice d’équilibre pour surmonter l’angoisse et s’en servir comme impulsion créatrice. Ce solo intimiste, tout de clair-obscur, plongeait le danseur dans des états de corps dérangeants, transe habitée, répétition saccadée, le corps comme incarnation des espaces de folie que nous abritons, disparition de l’individualité derrière la main qui masque le visage comme pour dire que la névrose est si bien partagée qu’elle devient chose commune, normalité sociétale…la question de la folie se renverse alors…dans l’espace de liberté qu’elle crée.
Pour sa deuxième pièce Alexandre, choisit le duo, tout en poussant le questionnement sur la condition humaine plus loin ou plus profond. Il choisit comme interprète Leïla Ka, un choix réciproque puisque les deux artistes, dont on a évoqué la rencontre initiale, se sont d’une certaine façon reconnus. Ils sont à l’oeuvre de façon parallèle, chacun interprète pour l’autre dans leur nouveaux duos.
Une reconnaissance aisée, les deux danseurs ayant une démarche et des questionnements assez similaires. Pour autant, le chorégraphe insiste sur le fait que cette décision de travailler ensemble les a obligés à creuser chacun dans son propre univers, faire en sorte que construire l’échange n’empêche pas la singularité du vocabulaire chorégraphique de l’autre mais au contraire le nourrisse, l’affine. Le travail de duo, c’est aussi imposé comme une nécessité professionnelle et artistique, avec cette question : “comment transmettre une matière jeune encore en évolution ?”.
Le travail en duo est une façon de répondre, le fait que chacun se trouve à tour de rôle en fonction des résidences de création, en position de chorégraphe ou d’interprète, impose des respirations dans le travail, oblige à des aller-retours entre les deux postures, à une vigilance accrue pour que le nourrissement commun n’occulte pas la spécificité de chacun.
Le teaser de Très loin à l’horizon, nous replonge dans l’univers de Quelques’un le demeurent, même ambiance sépia, mêmes clairs-obscurs, mêmes individualités masquées, mais la présence d’une Autre introduit la notion d’une situation commune, l’élan, le désir toujours renouvelé d’atteindre l’horizon, la quête impossible de toucher ce qui par essence se dérobe toujours à nous. Inspiré par les toiles de Caspar David Friedrich, Alexandre Fandard entraîne Leïla Ka à sa suite, comment le Moi navigue entre l’ici et maintenant et son désir de futur, de lointain. Il pose aussi la question du Moi, comme fuite et perte refusant un Nous dont il cherche en permanence à s’extraire ne reconnaissant plus le commun de la condition humaine, une façon de décrire l’individualisme forcené de notre monde qui ne crée plus que des nous communautaires et excluants.
Ce communautarisme stigmatisant Alexandre Fandard le connaît bien, issu lui-même d’une banlieue, il a déjà en tête sa prochaine création. Une recherche sur l’identité du jeune de banlieue, tour à tour rejeté, méprisé ou iconique lorsqu’il invente la mode populaire reprise par les grandes marques ou qu’il s’érige au rang de héros de la nation lors d’une coupe du monde de football. Ce jeune, c’est aussi le barbare, la racaille, le terroriste potentiel, l’étranger ultime !
Dans Comme un symbole, titre provisoire de ce nouveau solo, Alexandre Fandard souhaite porter sur scène, la complexité de cette figure, la réhabiliter, sans angélisme, peut-être simplement lui donner la place qui devrait être la sienne dans la communauté humaine et sociétale…travail à suivre !
En tournée
Quelques uns le demeurent
3 et 4/02/20 – Le Théâtre, Scène Nationale – St-Nazaire
15/02/20 Théâtre cap Nord, Nord-Sur-Erdre (44), France
02/20 Gdanski festival, Gdansk, Pologne
07/03/20 Equilibrio Dynamico ensemble, Bari, Italie
05/20 SOLO COREOGRAFICO, Francfort, Allemagne
Très loin à l’horizon, création 2020
Un extrait de la pièce sera présenté le 9 janvier prochain à l’Etoile du nord dans le cadre de la journée TREMPLIN au festival Open Space.
Un extrait est programmé au festival Movimiento en RED à Santander le 11 janvier prochain.
Une sortie de résidence est prévue sur la semaine du 27 janvier au 2 février date à préciser
La première en France est en automne 2020 à la Villette et sa diffusion se poursuit ensuite en France et à l’étranger : Festival Cortoindanza en Sardaigne où le solo Quelques uns le demeurent a reçu un prix en 2018 et à confirmer Festival Fabbrica Europa à Florence, Conformazioni à Palerme, Interplay à Turin.
En travail, Comme un symbole (titre provisoire) création 2021
Un extrait sera présenté dans le cadre de C’Le Chantier au Centquatre le 28 et 29 mars 2020 dans le cadre du prochain festival séquence danse.
Image de Une, visuel de Très loin à l’horizon, Alexandre Fandard © Rä²:Alexandre Fandard.