Faire dialoguer la photographie et la danse

C’est ce que souhaite le chorégraphe Pedro Pauwels, qui depuis 2013 est l’initiateur de la Biennale de la photographie de danse. L’événement se passe à Brive la Gaillarde, en région Nouvelle-Aquitaine où la compagnie du chorégraphe est implantée ; une façon pour lui de solidifier son ancrage territorial et de développer une action artistique envers un public sans doute moins sollicité que dans les zones accueillant des CDC ou des CCN. L’événement est d’envergure, invite des photographes reconnus et se déploie sur plusieurs jours, une logistique soutenue par des partenaires comme le CCN de Nouvelle Aquitaine (Ballet Biarritz de Thierry Malandain) et rendue aussi possible par le fait que la compagnie de Pedro Pauwels est conventionnée. Mais au-delà de l’aspect matériel de la Biennale nous avons demandé à son directeur ce qui l’avait incité à créer un tel événement.

Eclipse, Pedro Pauwels (c) Jean Gros-Abadie.
Eclipse, Pedro Pauwels (c) Jean Gros-Abadie.

Pedro Pauwels répond qu’il s’agit d’une photo de lui sautant et capturé comme en lévitation par le photographe et danseur Jean Gros-Abadie. Ce cliché a entraîné un questionnement personnel sur ce qu’est une photo de danse, sur l’intérêt d’une photographie par rapport à une vidéo et l’idée qu’il y a nécessité de développer là une éducation artistique quant au rôle et aux techniques utilisées selon chaque medium…, sur le fait de savoir si pour réussir une photo de danse il faut être danseur soi-même et donc anticiper ce qui va advenir du prochain mouvement pour en capturer l’essence. L’envie aussi de travailler avec des publics plus ouverts que ceux à qui on destine en général ces actions d’éducation artistique d’où l’idée de faire un appel à participation à réaliser des photos qui seront ensuite exposées lors de la Biennale. Ouvrir l’espace de représentation de la danse, du corps dansant pour élargir à d’autres notions que celle de la danse académique, aller vers celle de mouvement dansé puis de mouvement capturé, titre retenu pour la Biennale.

Un champ poétique peut dès lors se déployer comme lors d’une masterclass photographie dont se souvient Pedro Powels, menée avec Laurent Paillier et les étudiants des Beaux Arts de Limoges lors de la première édition de la Biennale en 2013 et qui sera renouvelée chaque année en amont du festival. À travers les clichés réalisés, le corps disparaît parfois pour laisser place à une idée de mouvement, de rythme, de musicalité autre façon de parler d’un art vivant comme la danse. Dans une même volonté d’ouvrir les représentations de la danse et de saisir les traces de sa présence dans nos vies, un concours de photographies amateur La danse autour de moi, est lancé aux habitants de la région de photographier la danse dans leur quotidien : cours de danse, fête de fin d’année, bal, boîte, mariage, street dance, etc.

 Asphalte, Pierre Rigal (c) Olivier Soulié.

Asphalte, Pierre Rigal (c) Olivier Soulié.

Cette idée de multiplier les points de vue et de faire sortir la danse de ces cadres habituels se perpétue à travers l’exposition d’Olivier Soulié, photographe attaché au Théâtre des Treize Arches, dont les clichés seront exposés dans les vitrines des commerçants de Brive et donneront lieu à des performances en écho dans l’espace public. Autre façon de sortir du cadre et des espaces dédiés tout en renforçant un ancrage local.

Un des principes de la Biennale est aussi de faire résonner le travail de deux photographes reconnus, invités à interagir sur un thème commun, cette année il s’agit de : L’homme qui danse/ Danse masculine. Pour ce dialogue particulier, Pedro Pauwels a choisi Olivier Houeix, photographe attitré du Ballet de Biarritz, partenaire de l’événement et Nathalie Sternalski. Volonté de confronter un double regard, féminin et masculin sur les corps des danseurs. En l’occurrence, Olivier Houeix a choisi 14 photos d’hommes dansants qu’il a réalisées et qui ont été envoyées à Nathalie Sternalski afin qu’elle propose à son tour 14 clichés sur le même thème. Une façon sensible d’instaurer un dialogue artistique.

Blue Lady, Carolyn Carlson(c) Nathalie Sternalski.
Blue Lady, Carolyn Carlson(c) Nathalie Sternalski.

À travers cet échange, comme à travers les tables rondes qui sont organisées dans le cadre de la Biennale, Pedro Pauwels espère combler un peu le déficit de dialogue existant entre monde de la danse et photographes mais aussi entre photographes eux-mêmes et à travers ces actions faire circuler la parole et avancer la réflexion.

Autour des tables rondes précédentes, est apparue une multitude de points de vue parfois radicalement différents, sur des questions aussi importantes que ce qu’est une photo de danse.

Sors, Cie Padro Pauwels (c) Olivier Houeix.
Sors, Cie Padro Pauwels (c) Olivier Houeix.

Pour certains, simple objet de reportage ou de communication, pour d’autres trace mémorielle, pour d’autres encore œuvre d’art à part entière. Il s’avère que lorsqu’on pose cette question : « Qu’est-ce qu’une bonne photo de danse ? » les réponses différent selon que l’on soit photographe, chorégraphe ou communicant. Ces divergences de point de vue font que parfois les choix effectués par les uns apparaissent comme des travestissements voire des trahisons quant au contenu des œuvres photographiées. Le photographe doit-il être au service de l’œuvre qu’il saisit ou laisser sa propre sensibilité capturer ce qui pour lui est essentiel ? Doit-il se positionner en tant qu’artiste ou dans une démarche de communication publicitaire ? La question peut paraître vulgaire, elle se pose néanmoins notamment pour les photographes attachés à une structure. C’est toute la question du filtre qui est posée ici mais aussi de la difficulté à capturer le mouvement à en rendre l’essence et à dialoguer finalement d’un médium à l’autre, d’une œuvre à l’autre. On sent Pedro Pauwels passionné par ces questions et d’autres qui seront abordées lors des tables rondes de la Biennale : «Comment capter le mouvement ?», «Comment rendre visible la mobilité dans l’immobilité ?», «Quelle place pour la photo par rapport au film ?», «Rôle de la photographie dans l’édition ?», «Le poids de l’image ?», etc. et une conférence de Philippe Verrièle «Serge Lido ou l’invention d’un genre»

Gageons que ces questionnements trouveront au moins des réponses partielles grâce à la Biennale et alimenteront des réflexions croisées à la lisère de plusieurs champs artistiques. Une belle façon de développer en région une véritable éducation aux arts.

La Biennale a lieu les 13, 26,27 et 28 mai 2017 dans le cadre du festival Danse en mai organisé par Les Treize Arches, Scène conventionnée de Brive-la-Gaillarde.

Pour plus de renseignements c’est ici !

Image de Une, photo reprise pour l’affiche de la biennale Mouvement capturé crédit Laurent Paillier.

 

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