DANCE ON : entre héritage de savoir et transmission d’expériences

Vous connaissez le NDT III, fondé par Jiří Kylián, qui permet aux danseurs et danseuses, ayant atteint ou dépassé l’âge de la retraite, de continuer à danser. Le chorégraphe tchèque fut l’un des premiers à jeter des ponts entre les styles, les traditions et surtout les âges. DIEHL+RITTER et Christopher Roman, ex-directeur artistique associé de la Forsythe Company, viennent de lancer DANCE ON ENSEMBLE, une compagnie qui s’attache à explorer l’excellence artistique des danseurs professionnels de plus de 40 ans…

L’initiative veut avant tout démontrer la valeur de l’âge à la fois dans la danse et dans la société en général, car les Européens vivent plus longtemps. Ce qui ne change pas cependant, c’est le point de vue sur les personnes âgées. Mais que se passerait-il si des danseurs et danseuses continuaient à se produire au-delà de 40 ans, si leurs compétences et leur expérience restaient disponibles au monde de la danse et palpables au regard du public ? L’art de la danse en serait-il enrichi ?

DANCE ON ENSEMBLE © Dorothea Tuch
DANCE ON ENSEMBLE © Dorothea Tuch

Christopher Roman le croit profondément. Selon lui, DANCE ON a pour mission « de perpétuer le mouvement à un niveau plus intellectuel et plus corporel, de montrer combien cette expérience peut s’avérer incroyablement foisonnante et productive. » Les danseurs et danseuses plus âgés ont une capacité d’expression et une complexité d’émotion à laquelle les jeunes ne peuvent accéder : « Ils incarnent la joie de vivre et abordent l’existence d’une manière toute particulière. » Et puis, Christopher Roman préfère parler d’expérience plutôt que de formation : « Tout le monde n’a pas nécessairement besoin de bases classiques mais, le plus important, c’est d’avoir à son actif un éventail de genres et de rencontres, et d’être ouverts à tous points de vue. » Le danseur doit ainsi avoir une capacité d’adaptation pour sauter avec aisance du classique au contemporain, de la pantomime au hip hop, etc. C’est pourquoi le directeur de la compagnie a recruté des danseurs et danseuses aux personnalités diverses, ouvertes à travailler avec des artistes variés.

J’ai pu assister à un cours de la compagnie qui avait invité, lors de cette session berlinoise, Alexandre Munz. Le danseur et chorégraphe, formé à l’Opéra de Paris, a créé The SAFE Project, « un concept d’enseignement pour la danse, incorporant de nouveaux outils méthodologiques qui inspirent l’interdisciplinarité, en recherche artistique et scientifique. » Une nouvelle compréhension du mouvement qui développe chez le danseur d’autres notions de concentration du corps, en aidant et en protégeant celui-ci. Le cours démarre par des étirements du bassin et du dos, au sol, pour mieux sentir d’où part le mouvement à sa source. Le cou et la tête sont, à chaque départ du mouvement, enroulés et accompagnés par la main. On évite ainsi la tension musculaire. Le danseur se positionne ensuite à la barre, face à elle, en épaulement constant. Une unique main posée sur la barre, il travaille en opposition, en dissociation, mais toujours à l’écoute de son corps, tout en inspiration et expiration. Au début déséquilibré, il se « re-axe » naturellement au milieu au fur et à mesure que sa chaîne musculaire se réveille.

Alexandre Munz, The SAFE Project © Jessica Schaefer
Alexandre Munz, The SAFE Project © Jessica Schaefer

Deux danseurs et une danseuse étaient présents : Ty Boomershine, Amancio Gonzalez et Jone San Martin. Moins techniques, ces danseurs se concentrent plus sur le haut du corps que sur le bas de jambes, fatiguées. Un travail de pantomime, de théâtre dansé, parfois plus éloquent qui, à sa manière, empoigne le spectateur, comme cette variation « stand up » où Amancio Gonzalez se contorsionne autour de son micro, ou encore quand Jone San Martin mime un tour de magie et laisse deviner un fil imaginaire… Force est de constater que Kylián avait raison de rappeler que « l’être humain possède 206 os, 585 articulations et plus de 800 muscles ! » Ces danseurs internationaux hyper-expérimentés, à l’appareillage corporel extraordinaire, ne sont pas encore à mettre au placard…

Le 28 janvier 2016, ils présenteront 7 DIALOGUES au Holland Dance Festival de La Haye. Le compositeur Matteo Fargion, en collaboration avec le metteur en scène libanais Rabih Mroué et la chorégraphe grecque Kat Válastur, placera cette compagnie de doyens et doyennes au centre de toutes les attentions. Et en février, DANCE ON reprendra les répétitions : Christopher Roman se penchera sur une pièce de l’artiste performer bulgare Ivo Dimchev, Amancio Gonzalez travaillera avec la star londonienne Hetain Patel, Jone San Martin se frottera au metteur en scène anglais et directeur du célèbre ensemble Forced Entertainment, Tim Etchells, Ty Boomershine explorera un solo signé Beth Gill, Brit Rodemund dialoguera avec la chorégraphe Lucy Suggate, et Ami Shulman côtoiera le Français Étienne Guilloteau.

Les chorégraphes invités ont carte blanche et se réjouissent de travailler avec ces danseurs et danseuses aux mécaniques merveilleusement huilées. La technique ne les intéresse pas, mais plutôt l’espace, l’attitude, l’expression. Ouvrir le champ des possibles et rendre la danse accessible, perceptible, s’identifier à elle, voilà le but de ces créateurs de mouvement.

Les musiciens ont toute leur vie pour mûrir leur interprétation. Les danseurs aussi, désormais.

OÙ ET QUAND ?

Première de 7 DIALOGUES le 28 janvier au Holland Dance Festival, et également les 29 et 30 janvier 2016.

En avril, la seconde production (Rabih Mroué) de DANCE ON sera présentée au Kampnagel de Hambourg et en août, la troisième pièce (Kat Válastur) sera programmée dans le cadre de Tanz im August à Berlin.

Crédits Image de Une : la danseuse Jone San Martin, DANCE ON © Dorothea Tuch

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