Il est des initiatives qui méritent qu’on en parle. Plus à l’est, le petit pays du Luxembourg semble affectionner particulièrement ses artistes au point de concocter des programmes spéciaux pour mettre en ébullition son émergence artistique.
Quésaco ?
Les Théâtres de la Ville du Luxembourg se sont lancés dans un programme de parrainage de jeunes artistes, du Théâtre et de la Danse, qui pendant plusieurs semaines développent leur maquette sous le regard bienveillant d’artistes confirmés, recrutés parmi des collaborateurs internationaux de longue date. Formulation, réflexion, élaboration, maquette, création puis enfin présentation ! Du 10 au 19 juin 2016, ces jeunes artistes présentaient dans les Théâtres de la Ville leur rendu de création.
Autour des quatre porteurs de projets, la programmation du TalentLab alliait rencontres, workshops, masterclass, tables rondes et spectacles, et la promesse de « passer des moments de recherche, de création et de découvertes inoubliables au contact de professionnels des métiers de la scène et du public »
CCCdanse était invité spécialement pour l’événement du TalentLab Dance, le 15 juin au soir. Deux jeunes chorégraphes présentaient leur travail : Simone Mousset et Jill Crovisier.
Maquette, pensions-nous ? Erreur ! Les deux pièces présentées étaient sinon abouties du moins accomplies. En somme c’était bien au delà de nos espérances.
En appliquant le même principe de parrainage, Simone Mousset et Jill Crovisier deux danseuses et chorégraphes luxembourgeoises ont développé et répété leurs chorégraphies sous l’œil expert et bienveillant de Koen Augustijnen, danseur et chorégraphe, membre de la compagnie Les ballets C de la B depuis 1991 en Belgique.
Le format de la soirée mérite qu’on s’y penche lui aussi. Chaque pièce était introduite par leur mentor, puis à l’issue de la représentation, le chorégraphe était invité à venir en bord plateau pour une session de rencontre, non conventionnelle. Pas de tour de micro en libre service comme on peut le voir dans certains théâtres à l’issue de représentations, ici les retours ont un but : « empower the artist and go beyond personal taste » comprenez: valorisez l’artiste, en lui faisant des retours dépassant les goûts strictement personnels.
Pour cela, procédons en 5 temps nous explique Koen, formé en Belgique à ces pratiques de rencontres constructives.
1- Affirmative feedback, en répondant à la question « ce qui a marché pour moi dans cette pièce c’est… »
2- Perspective « ce qui m’a manqué c’est…. »
3- Synthèse : « en un mot cette pièce est, parle de … »
4- Question ouverte à l’artiste
5- Ecrire une lettre à l’artiste (chers artistes, voici la nôtre!)
Découverte ! Lorsqu’on oriente les questions du public, celles-ci se révèlent être pour le moins constructives. Sur un tableau blanc l’artiste note soigneusement les retours dans un nuage de pensées, brainstorming en direct et valisette de retours à utiliser, méditer, écarter ou intégrer pour une prochaine étape de travail.
Une bonne pratique dont chaque théâtre devrait s’inspirer, lorsqu’on sait que l’accès et les relations au public sont le nerf de la guerre en Danse, qui peine encore à élargir et diversifier son audience.
Venons en au contenu.
The Hidden Garden, de Jill Crovisier
Jill présentait un solo « The Hidden Garden ». Sur un carré de pelouse, une étrange créature se promène. Dans une ambiance fantastique, où la lumière jailli de nulle part et le son est amplifié, Jill se meut dans des bulles ou saynètes qui apparaissent et disparaissent par surprise. Effet magique garanti. Autant de visages, d’ambiances de situations, qui en un flash se dissolvent. Dans ce zapping constant, Jill sorte d’Alice au Pays des Merveilles navigue au grès des univers : bruts, absurdes, légers. « Obsédée, cette créature suce la vie de ceux qui osent la confronter. Les rêves et la poésie suffoquent. Le jardin secret est un endroit mystérieux ou le réel et le fantastique s’entrelacent » nous dit-elle.
Dans un bel effort de mise en scène, on regrette quelque fois des passages trop littéraux auquel on préfèrera des moments où la danse écrite dans ce carré magique de verdure et d’images préserve l’imaginaire et l’utopie. On retient des images très fortes, la dissolution d’un bouquet de fleur dont les retombées sur un sol amplifié donnent un relief incroyable à l’espace. Une scène finale, ou Jill se mue de Alice en déesse Gaïa, sous son tapis d’herbe, engloutissement final de la créature par la matière même qui l’a vu naitre.
« The Passion of Andrea, or : How We Learned to Laugh with Our Monsters » de Simone Mousset
Changement de style avec Simone Mousset et sa pièce, trio joliment composé de 3 interprètes de talent : Michele Meloni, Andrea Rama, Elisabeth Schilling.
Dans un joyeux chaos de corps aux énergies jaillissantes, 3 danseurs prétendent s’appeler Andrea. Ils s’embarquent dans une quête de leur identité respective, à la recherche d’un précaire équilibre, une harmonie de groupe, d’eux-même : qui est le vrai Andrea? Le prétexte de la réinterprétation du conte de Petrouchka emmène les 3 danseurs dans une série de scènes burlesques où les rôles s’échangent.
De poupées russes en poupées russes, la mise en abîme fonctionne, à quelle couche de vérité nous trouvons-nous ?
Une pièce aux allures de farce, de ring de boxe, de conférence, de monologue, de mini ballet, où la parole harmonieusement mêlée aux gestes des interprètes nous embarquent à contrecourant, inhibant le réalisme pour faire la part belle à l’absurde.
Mélange des genres, et franches rigolades au menu donc, qui ne sauraient dissimuler le sérieux du propos. Simone se dit inspirée par le sentiment d’insécurité dans un monde ou l’instabilité va croissante, où les gens s’inquiètent eux-même par leur propre implacabilité, la compétition et les conflits qui les entourent. Derrière Andrea qui sommes-nous ? Qui suis-je ? Au sein d’un groupe, ou seul ? Ces questions agitent, désorientent et pèsent sur chacun qui s’agite pour y répondre et exister dans une société au point de souvent perdre le contrôle et risquer de tout perdre. Ainsi, toujours sur le fil, le rire bascule dans la crise.
Sous quelques aspects on pouvait y voir, selon moi, une interprétation pascalienne du Divertissement, ce nécessaire détournement de l’humain à l’ennui qu’il ne saurait affronter.
« Quand je m’y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent dans la Cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre » ( Pensées, Blaise Pascale)
Sur ces mots, on souhaite un beau parcours à ces deux artistes prometteuses. En attendant de les voir sur les scènes françaises ! A bon entendeur.
Infos pratiques
Stay Tuned pour la prochaine édition, le théâtre élargira certainement ses horizons à d’autres artistes de la région, et au delà du Luxembourg.
Grand Théâtre du Luxembourg
1, rond-point Schuman 2525 Luxembourg (ville)
Téléphone+352 47 96 39 00 Site web http://www.theatres.lu
Pour visionner le teaser de la pièce de Simone Mousset : visionner ici.