Bol d’énergies positives au Staatsballett de Berlin !

Après un dégât des eaux en décembre qui a entraîné l’annulation de quelques représentations du Lac des cygnes et, surtout, la venue des Ballets de Monte Carlo, le Staatsballett de Berlin relève la tête en assurant l’entrée au répertoire du Don Quichotte de Victor Ullate, créé en 1997 à Madrid. Les moulins et la forêt du second acte sont désormais plus fictifs que réels car projetés en image mais il serait bien idiot de ne s’attacher qu’à la forme, certes dénaturée, tant le résultat est convaincant, presque en tout point…

 

Staatsballett Berlin, Don Quichotte de Víctor Ullate © Fernando Marcos

 

Ballet créé en 1869 à Moscou par Marius Petipa et revisité en 1900 par Alexander A. Gorski, Don Quichotte fait partie des classiques du répertoire des grandes maisons. En gommant le kitsch et en peaufinant les élans folkloriques, Ullate nous entraîne rapidement dans sa danse, portée par une partition savoureusement hispanique. Le chorégraphe espagnol a souhaité revisiter la partition de Ludwig Minkus et rendre l’œuvre musicale encore plus espagnole en ajoutant une guitare à l’orchestration. Un instrument qui englobe l’atmosphère d’une sonorité moelleuse, chaleureuse, tout particulièrement en intermède-solo à la seconde scène de l’acte III. On savoure de contempler à nouveau un ballet orchestré par Robert Reimer et interprété en live par l’orchestre de la Deutsche Oper : une fois n’est pas coutume !

Le vocabulaire du chorégraphe est quant à lui parsemé de flamenco ici et là. Le maître de ballet Eduardo Lao, qui a remonté le ballet au Staatsballett, souligne le caractère de ces danses, « emplies de « chispa », une sorte de rayonnement allié à une touche d’élégance froide que l’on doit interpréter avec le regard et non le corps. Plus le mouvement est précis et soigné, plus il est réaliste. » Et cette philosophie de l’intensité dans la mesure a l’air d’avoir été entendue par la troupe berlinoise.

 

Staatsballett Berlin, Don Quichotte de Víctor Ullate © Fernando Marcos

 

De plus, Ullate rafraîchit le personnage de Don Quichotte, sans oublier d’où il vient et ce qu’il est : un chevalier doux rêveur. Il lui donne une place toute particulière (charismatique Rishat Yulbarisov), ainsi qu’à son fidèle écuyer Sancho Pansa (désopilant Vladislav Marinov). Omniprésents (peut-être trop), ils vont et viennent de cours à jardin, en passant par des scènes de pantomime, et notamment celle d’ouverture, un brin interminable. En dépit du titre du ballet, le héros n’est pas ce fameux chevalier idéaliste mais bel et bien l’espiègle Basile, barbier de profession, et sa bien-aimée Kitri.

Les variations et pas de deux du couple fétiche et fougueux, d’une grande complicité, s’enchaînent avec brio. Iana Salenko est adorable, d’un charme fou, en compagnie de ses deux copines (Marina Kanno et Iana Balova, plus étincelante que sa collègue) et sa précision de bas de jambes, exquise. Fidèle à elle-même, l’étoile oscille d’équilibres infinis et de fouettés doubles et décalés en quart de tour. Son jeu d’éventail est parfait. Sa Kitri a quelque chose de très attachant mais il lui manque peut-être le coup de tête, l’accentuation des bras, l’âme latine, ce tempérament insondable, ce piquant bien dosé qui fait le petit plus des plus grandes interprètes de Kitri (Maïa Plissetskaïa ou Cynthia Harvey pour ne citer qu’elles !). Son partenaire, Dinu Tamazlacaru, a également une technique virtuose, une qualité de sauts indéniable à en faire pâlir plus d’un, mais on a l’impression qu’il n’a pas vraiment exploré l’intention du mouvement. Il danse Basile comme il pourrait danser le Corsaire… Son interprétation mérite de mûrir. L’acte des gitans s’étale en longueur, selon moi, mais laisse place à de scintillantes et oniriques Dryades aux tutus vert-dorés (notez les costumes aussi chatoyants que bucoliques, signés Roberta Guidi di Bagno !).

Staatsballett Berlin, Don Quichotte de Víctor Ullate © Fernando Marcos

 

En reine des Dryades, Elena Pris remplace Aurora Dickie, malheureusement blessée. Techniquement, il y aurait à redire, surtout comparée à une dulcinée (Iana Salenko) aux lignes parfaites. Cupidon était masculin et interprété par le vif et gracieux Dominic Whitbrook même si, selon moi, Cupidon demeure plus léger et gracile lorsque le rôle revient à une danseuse (ce qui est normalement le cas). Le corps de ballet s’intègre avec justesse, certaines pointes mériteraient cependant d’être plus tendues… Mais de belles individualités se font remarquer comme la jeune Alicia Ruben par exemple. Mention spéciale, dans le premier acte, aux jeux de capes qui volent et d’éventails qui claquent. Les toreros envahissent tout l’espace, se faufilent à travers la foule, créant une osmose scénique achevée. Le torero Espada (majestueux Alexej Orlenco) et sa fiancée Mercedes (Elisa Carrillo Cabrera, qui a la fâcheuse manie de passer sa pointe trop vite au jarret dans ses doubles pirouettes…) rayonnent de mille feux et, comparé au couple phare, donnent l’impression d’avoir plus fignolé et approfondi leur interprétation.

Une entrée au répertoire dont chacun, spectateurs comme danseurs, a pu pleinement profiter, à l’heure où, à Berlin, le devenir de la danse classique reste une question plus qu’ouverte. Réponse à la conférence de presse annuelle du 26 février au cours de laquelle Johannes Öhman et Sasha Waltz viendront présenter le programme de la prochaine saison…

 

 

OÙ ET QUAND ?

Deutsche Oper Berlin, 18 février 2018
Crédits Image de Une : © Fernando Marcos

 

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