Polina – Danser sa vie

Quel lecteur de CCCdanse n’a pas eu Polina dans sa bibliothèque ?

La BD aux 40 000 lecteurs, saluée par le Prix des librairies de bande dessinée, le Grand prix de la critique et sacrée meilleur dessin au DBD Awards, avait unanimement séduit, bien au delà des amateurs de danse.

Dans Polina Bastien Vivès avait su capter l’univers de la danse, sans mièvreries au travers de l’histoire d’une danseuse qui trace son chemin coûte que coûte, depuis son enfance à l’école de danse classique en Russie, ses premiers amours, son professeur exigeant, sa découverte de la danse contemporaine et ses voyages vers des contrées artistiques plus expérimentales.

On avait adoré la fluidité du dessin, un coup de crayon vif, à peine déposé, qui capturerait l’essence du mouvement, mais aussi la vérité des expressions, des gestes. Il fallait avoir sacrément observé, écouté et comprendre pour parvenir à transmettre avec subtilité et profondeur le récit de Polina, sans passer par le traditionnel poncif sur la danseuse classique fragile, victime de la concurrence et souvent malade. Bastien Vivès avait passé deux ans sur cet album.

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En 2011, CCCdanse l’avait interviewé : Lire cet article ici.

Autant vous dire que nous avions beaucoup d’attentes en allant voir l’adaptation en film de Polina le livre.

Et bien… résultat mitigé.

Aux commandes pourtant, un couple qui n’en est pas à son premier essai niveau danse. Valérie Müller réalisatrice et Angelin Preljocaj, chorégraphe-qu-on-ne-présente-plus, directeur du Centre Chorégraphique National d’Aix en Provence, reconnu en France et à l’étranger depuis plus de 30 ans. Ils travaillent sur Eldorado ensemble avec Olivier Assayas en 2007. Preljocaj signe aussi lui-même le film l’Annonciation en 2003 et dernièrement la publicité Air France dont la chorégraphie est issue du Parc.

Tous deux sont charmés par le parcours de Polina, raconté sans stéréotypes : « Comment les fragilités, les failles d’un individu peuvent être les ressorts de sa créativité et de sa réussite (…) C’est une forme de longévité, d’obstination et d’endurance qui fait la force de certaines artistes. Quand la BD est sortie, je l’ai trouvé très juste à ce propos ».

© Carole Bethuel
© Carole Bethuel
© Carole Bethuel
© Carole Bethuel

Pourtant adapter une œuvre littéraire d’une grande ampleur c’est, on le sait, souvent trahir, et risquer de décevoir les millions de lecteurs qui s’étaient façonnés leur univers. Plus encore, adapter un livre sur la danse, c’est faire un choix cornélien entre la bonne actrice et sa doublure, ou une danseuse qui pourrait savoir jouer – les exemples dans l’histoire du cinéma où l’on maîtrise les deux sont assez rares – Sauf toi Audrey Hepburn – Et oui pour ceux qui se demandent encore, Nathalie Portman était bien doublée !

L’exercice était donc périlleux. Et si le film est esthétiquement réussi, il ne parvient pas vraiment à saisir l’esprit du livre.

On se questionne notamment sur les libertés d’adaptation, qui viennent surligner inutilement le trait du réalisme là où la BD préférait la suggestion.

Les parents de Polina, presque absents dans la BD, deviennent ici la caution milieu social défavorisé, survivant dans les barres d’immeuble du postcommunisme et chassant le lapin en forêt. La lutte pour la danse devait-elle absolument rejoindre la lutte sociale pour qu’on comprenne que l’héroïne se démène pour y arriver ?

Fallait-il aussi qu’Angelin Preljocaj mette à ce point sa compagnie en vedette. Si la BD ne précise pas où va Polina lorsqu’elle quitte le ballet russe pour rejoindre la plus contemporaine « Mickhail Laptar company» on ne l’imaginait pas pour autant annoncer qu’elle part à Aix en Provence auditionner au Pavillon Noir. Une touche d’imagination n’aurait pas fait de mal à ces scènes, plutôt que de propulser son personnage au sein de ce qui aurait pu être un documentaire sur le ballet Preljocaj, du tri de CV à l’audition, en passant pas les répétitions des chorégraphies bien connues de la compagnie.

Dommage aussi que la relation avec le professeur Bojinsky soit édulcorée, alors qu’elle tisse dans le livre le fil rouge.

Finalement tout ça manque un peu de profondeur et d’écorchure. On aimerait voir Polina partir à Berlin, se confronter à des formes plus expérimentales comme décrit dans le livre, au lieu de cela un joli duo à la fin avec flocons de neige, ressemblant à ceux déjà vu précédemment dans le film, signe le happy end. La caution expérimentale revient plutôt aux boissons alcoolisées servies et bues outrageusement dans la boite où elle sert la nuit (pas cliché non plus tiens!).

Qu’en pense Bastien Vivès ? Il admet que le film est grand public là où la BD était auteur, que celle-ci parle d’Art avec un grand A, là où le film parle de l’artiste, en somme que le film n’est pas véritablement une adaptation de la BD. Alors crédible ou pas? Oui selui lui, mais cela tient surtout à la prestation des acteurs, et à une incarnation de Polina réussie.

Et côté casting la plupart des acteurs sont en effet convaincants. Ils ont surtout le mérite d’être, lorsqu’ils ne sont pas danseurs eux-mêmes, ultra à l’aise dans le mouvement.

Anastasia Shevtsova, dénichée parmi 600 candidates à travers l’Europe, manque sans doute de rugosité pour coller à Polina, mais elle apporte à sa façon une présence touchante et mystérieuse. La danseuse qui est aujourd’hui au Théâtre Marrinsky, réussit à convaincre, en Russe et en français, qu’elle a appris pour l’occasion. On regrette juste que ses prestations en danse contemporaine ne soient pas plus convaincantes, surtout pour un personnage qui devient chorégraphe.

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© Carole Bethuel
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© Carole Bethuel

On salue également la prestation de Juliette Binoche (comment ne pas le faire!) qui non contente d’être super crédible en chorégraphe, danse presque instinctivement. Celle qui s’était déjà essayée sur scène aux côtés d’Akram Kahn dans In-I disait « Quand notre corps est disponible, ouvert étiré, vivant, il devient notre pinceau créateur, notre matière pour se réaliser ». Presque double féminin de Preljocaj dans le film, elle parvient tout de même à lui donner un souffle de vérité.

Jérémie Bélingard, danseur étoile à l’Opéra de Paris, qu’on aimerait voir plus souvent à l’écran, car son naturel et sa présence charismatique relève la dernière partie du film.

Niels Schneider en jeune danseur intrépide et volage et Aleksei Guskov en professeur de danse à la l’expression grave et la retenue slave sont très bons.

D’aucuns dirons que Polina est un beau film sur la danse et la vocation. Les scènes de danse, nombreuses, sont toutes très bien filmées (en scope afin de pouvoir avoir plusieurs corps dans l’espace) on pressent l’œil du chorégraphe attentif derrière la caméra, vigilant à ce que le mouvement parle.

Le tout, malgré quelques longueurs donne un résultat joli qui saura satisfaire le public non connaisseur de danse et certainement les aspirantes petits-rats.

Mais sans doute un peu trop joli, malgré de bons ingrédients, une histoire illustrée presque clé en main, et un bon casting, l’émotion ne perce pas vraiment l’écran.

Polina, Danser sa vie  – Sortie 16 Novembre

Un film de Valérie Müller et Angelin Preljocaj
Avec Anastasia Shevtsova, Niels Schneider, Jeremie Bélingard, Miglen Mirtchev, Veronika Zhovnytska, Ksenia Kutepova, Aleksei Guskov et Juliette Binoche.
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