Dans un immeuble décrépit du XXème arrondissement, au détour d’un étroit escalier en bois, se cache une discrète porte peinte de rouge. Poussez-la. Il est tard, l’air y est chaud et humide, la musique obsédante, les jupes virevoltantes. Vous êtes à Buenos Aires.

Enfin, presque: vous venez de pénétrer dans l’académie Esprit Tango, un des lieux incontournables du tango parisien. Ouvert en 2006 par des passionnés des milongas portègnes, les fondateurs ont voulu transposer l’esprit et la volupté des bals argentins à Paris. Le tango, une passion que Pascale a découverte lors de son premier passage à Buenos Aires, à 21 ans, il y a maintenant près de deux décennies. Une passion pour la vie. Vêtue d’une légère robe fleurie, elle s’apprête aujourd’hui à s’envoler vers d’autres projets, toujours dans le domaine du tango.

Luis, l’Argentin aux longs cheveux bruns qui sera désormais seul aux commandes d’Esprit Tango, se trouve dans la salle adjacente, à enseigner son art aux profanes. Accoudé à la rampe, il scrute le moindre faux pas de ses élèves. Mouvement des hanches, trajet des pieds, placement de la main, rien ne lui échappe.

Patrick, 38 ans, essaye de pratiquer le tango tous les jours. Vêtu d’une simple chemise rose, il peut disserter des heures durant sur le tango et ses aléas. Le tango lui sert à décompresser après une intense journée de travail. L’homme doit produire plus d’efforts que la femme pour être à la hauteur dans la tenda (série de trois à cinq danses dans le tango argentin), remarque-t-il: mener la danse nécessite un savoir technique et une gestuelle corporelle intégrés à la seule sueur du front. Plus qu’une danse, c’est pour lui “un moyen d’expression qui permet d’extérioriser et d’éliminer des blessures de la vie de tous les jours”.

“Addiction”, le mot revient régulièrement dans les conversations. Patricia, une habituée, s’est mise au tango il y a douze ans. On la retrouve sur le petit banc rouge de la terrasse, à fumer une cigarette. De plus en plus exigeante techniquement, vis-à-vis de ses partenaires de tango, elle peine certaines soirées à trouver des danseurs à la hauteur. Difficile d’atteindre cette harmonie, cette osmose qui contribue à la perfection d’une tenda et que tous les danseurs recherchent. Fascinée par le jeu des corps et la relation entre les danseurs, Patricia parle du tango avec une voix envoûtée, sous le charme de la danse et de sa magie.

Un verre à la main, transpirant dans l’humidité ambiante, les habitués ne sont jamais à cours d’anecdotes: leur dernière milonga à Buenos Aires, leur passion pour cette danse, leurs rencontres… Les soucis restent sur le pas de la porte, on en oublierait presque qu’on est à Paris tant l’espagnol vient se mêler au français. Soudain, après un bref interlude, la musique reprend. Votre interlocuteur s’interrompt brusquement et se précipite sur la piste pour se relancer dans l’ivresse d’une nouvelle danse.
L’académie Esprit Tango est ouverte les mardis, jeudis et week-ends de la fin d’après-midi jusqu’au bout de la nuit. Toutes les informations pratiques sont sur leur site Internet. Et, histoire de vous mettre l’eau à la bouche, voilà un petit final musical.
Photos: Flickr/CC/Alexandre Marchand
Son: Raphaël Proust
Article publié en collaboration avec le site 2h27