DANSE ET … ARCHITECTURE

Pourquoi lier danse et architecture? Mariage de circonstance, de raison, d’amour ou liaison improbable à haut risque?

Arts de l’espace ou dans l’espace, la danse et l’architecture développent un vocabulaire commun autour de notions ou de termes tels qu’équilibre, volume, occupation ou structure de l’espace, ou encore modules de construction.

L’espace pour le danseur comme pour l’architecte, n’est pas neutre; pour l’un, il est à occuper, traverser, habiter, modifier pour l’autre ces actions se font et se donnent à voir dans le déroulé du spectacle. Le danseur occupe, habite, traverse, modifie l’espace par sa présence.

Torsö de Malmö, Calavatra

À une échelle plus fine, plus intime, d’autres points communs surgissent qui ne sauraient nous étonner tout à fait depuis la représentation par Léonard de Vinci de l’homme de Vitruve. Le corps humain comme mesure du monde pour l’architecte, comme matière première et medium pour le danseur. On peut évoquer le Modulor du Corbusier ou le magnifique torse dessiné par Santiago Calatrava et qui l’a inspiré pour ériger en torsion son fameux Torsö de Malmö.

 

 

L’existence d’un vocabulaire commun: structure, ossature, articulations, agencement et alignement des masses, équilibre des forces, point d’équilibre, rapport à la gravité, point d’appui et stabilité dans le rapport au sol, permet de comprendre la parenté, réelle ou imaginaire, entre danse et architecture.

La combinaison des deux univers : travail dans et sur l’espace, sur le corps de l’objet (qu’il soit décor ou bâtiment) ou du danseur, a permis des rencontres étonnantes entre chorégraphes et architectes. Trisha Brown avait expérimenté cela dès les années 70 avec Walking on the wall, 1971:

D’autres ont suivi comme Frédéric Flamand, actuel directeur du Ballet de Marseille. Sa démarche illustre parfaitement bien cette liaison danse/architecture car son travail va plus loin qu’une rencontre de circonstance, il s’agit d’une véritable réflexion sur la place du ou des corps dans la ville contemporaine (voir l’article de Boris Grésillon, « Un artiste dans la cité : entretien avec Frédéric Flamand, directeur du Ballet National de Marseille » in La ville évènementielle, Géocarrefour, vol.82, 2007, p.p., 141-144.).

Pour nourrir cette réflexion il développe une coopération longue avec de grands architectes qui deviennent les scénographes de ses spectacles : Elisabeth Diller et Ricardo Scofidio (Moving Target, 1996), Jean Nouvel (Body/Work, et Body/Work/leisure, 2001), Thom Mayne (Silent collisions, 2003), Zaha Hadid (Metapolis, 2000 puis Metapolis II, 2006), Dominique Perrault (La Cité radieuse, 2004).

Flamand ne se contente pas d’utiliser les propositions des architectes comme simples éléments de décors, l’occupation du plateau ou de l’espace scénique implique contraintes, détours, jeux, déplacements des danseurs. La chorégraphie, comme les propositions scénographiques, donnent à voir quelque chose du rapport au monde et de la réflexion qu’entretiennent, pour chaque spectacle, architecte et chorégraphe, à propos de la ville et des corps dans la ville.

Pour la pièce Body /Work/ LeisureFrédéric Flamand et Jean Nouvel ont choisi la ville pour examiner les thèmes du corps, du travail et du loisir.

La volonté de Frédéric Flamand était de pouvoir développer la chorégraphie sur plusieurs niveaux, et d’occuper ainsi l’entièreté du volume scénique. Jean Nouvel imagine alors une structure sous forme d’échafaudage sur plusieurs niveaux, multipliant plates-formes, passerelles, échelles, toboggans, colonnes. Des vidéos sont projetées sur des toiles tendues sur la structure comme autant d’écrans géants. L’architecture remplit la scène dans sa totalité, en hauteur comme en longueur. L’espace scénique est totalement réorganisé et démultiplié. L’architecture occupe toute la scène au même titre que la danse. On entre alors dans un jeu de contrainte/découverte imposé aux danseurs par la structure de Nouvel. Nouveaux espaces à conquérir, contrainte de l’obstacle à contourner ou à utiliser de façon inhabituelle. Surgissement de mouvements inattendus, déplacements dans des espaces inaccessibles jusqu’alors.

« Body, work, leisure » Nouvel et Flamand

C’est à partir d’ateliers chorégraphiques autour de cette architecture que le spectacle est créé. L’architecture est donc vécue comme contrainte nécessaire et vecteur de création, comme passage de la scène « plate » à la scène tridimensionnelle.
Dans Silent Collisions, réalisé en collaboration avec l’architecte californien Thom Mayne, fondateur du groupe Morphosis, Frédéric Flamand souhaite confronter la danse à une architecture de métamorphoses et de transformations.

 

 

 

 

Pour Silent Collisions,les deux artistes s’inspirent du livre Les Villes Invisibles  d’Italo Calvino et tentent d’évoquer l’interaction entre l’architecture et les corps des citadins, comme vecteur de transformations de l’un et des autres.

 

Silent Collisions

Pour transposer l’écriture de Calvino au spectacle vivant, l’architecte a imaginé une structure articulée et mobile créant un dialogue incessant où architecture et danse s’influencent et se répondent. Ainsi, la transformation de l’espace scénique implique une adaptation permanente des danseurs aux grands panneaux suspendus qui ne cessent de se déplacer. La ville de Flamand et de Mayne est un système dynamique fait de tensions, de conflits, de rupture mais aussi de désir, elle permet au chorégraphe de parler et de donner à voir le « corps vivant dans la cité ». Là encore, la liaison entre architecture et danse n’est pas que de circonstance, il s’agit bien pour Frédéric Flamand d’interroger à travers ces deux domaines son rapport au monde dans l’articulation entre le corps et la cité.

Mariage d’amour? Sans doute pas, mais liaison dynamique et créative sans aucun doute!
Véronique Vanier avec le concours de Laura Lambert.

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