Réédition de Danse et érotisme de Philippe Verrièle

L’ouvrage de Philippe Verrièle, sous titré La muse de mauvaise réputation, est initialement paru en 2006, l’auteur en donne aujourd’hui une  nouvelle version, largement augmentée, revue et actualisée au regard des évolutions qui traversent l’art chorégraphique, et la société.

Tâche difficile s’ il en est de traiter de l’érotisme en danse car comme le constate l’auteur peu d’oeuvres, et donc peu de chorégraphes revendiquent d’avoir créé des oeuvres érotiques, et pourtant la danse a depuis longtemps cette réputation sulfureuse d’exciter nos libidos, de conduire à de graves licences ou d’être la porte d’entrée de commerces de chair non avouables. Bref, comme chaque fois que le corps est en jeu, le fantasme s’en mêle et parfois s’emmêle dans des débats oiseux de fin de repas comme le souligne Philippe Verrièle…Quand peut-on alors dire que la danse est érotique comme il y aurait une littérature érotique ? 

Comme l’observe finement l’auteur : “Je vois seulement la permanence, dans l’ensemble du  champ de l’art d’une recherche des thématiques érotiques au-delà des explications sur le pourquoi de la notion.” […] et un peu plus loin : “cette littérature excite comme de la littérature érotique, c’est donc de la littérature érotique. En ce sens, la notion revendique sa parfaite subjectivité mais aussi sa pertinence opérationnelle. Au présupposé qui voulait que la danse soit peu érotique parce que les chorégraphes en ont peu usé dans leurs oeuvres répond donc un autre présupposé où l’érotisme sera jaugé par la réception de l’oeuvre, indépendamment, en somme, de ce qu’a voulu le chorégraphe.”

Ceci étant posé, rien n’est résolu, le corps dansant sur scène, présenté sans distance, sans médiatisation, doit être objectivité(voire “objetivé”) et d’une certaine façon désérotisé par le spectateur sous peine que celui-ci se sente devenir un voyeur voire un acteur possible du spectacle ce qui rompt tout idée du contrat moral passé entre l’artiste et le spectateur. Comme le dit Philippe Verrièle cela : “explique sans doute cette véritable autocensure des chorégraphes qui n’ont que très peu affronté le risque de l’oeuvre chorégraphique érotique”.

Et pourtant au fil de l’ouvrage, extrêmement documenté, et passant en revue différentes thématiques parmi lesquelles :  “le sexe des danses sociales, la force de l’économie libidinale dans la danse ou la conquête du nu”, l’auteur interroge les relations complexes entre danse et sexualité, entre la capacité d’assumer pour le chorégraphe, l’interprète ou le spectateur (et donc la société dans son ensemble) ce rapport. Philippe Verrièle nous met face à nos propres contradictions de voyeur, trouble provoqué par les corps sur scène parce qu’ils font ou osent ce qui est au-delà de nous et d’autant plus fantasmé, parce qu’un spectacle de danse interroge notre rapport au monde, ordre versus chaos, morale versus licence, parce que l’enjeu du corps et de sa place dans nos sociétés y résonne fortement.

Un ouvrage où la Muse perd sa mauvaise réputation pour gagner en complexité, et qui donne envie de revisiter ou de découvrir les œuvres citées.

Danse et Erotisme, La muse de mauvaise réputation, L’Attrape-corps, La Musardine, réédition avril 2021 à commander ici !

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