Le Staatsballett de Berlin compte désormais depuis début mars à son répertoire La Sylphide. Entre deux premières de Sharon Eyal et Sharon Eyal, le nouveau directeur Johannes Öhman, Danois de naissance, a trouvé très à propos de saupoudrer la saison d’une touche de romantisme, bien de chez lui. Au menu : rapidité de bas de jambes et sobriété de ports de bras. En somme, du Bournonville comme on l’aime. On en aurait bien redemandé mais voilà, le troisième acte de Napoli qui devait également composer la seconde partie de soirée a été déprogrammé…
Entre ciel et terre, idéal et réalité, La Sylphide explore les sentiments d’un James partagé entre l’affection envers sa promise, Effie, et l’amour qu’il porte à cette sylphide irréelle. En 1834, le danseur et chorégraphe Auguste Bournonville assiste à la représentation du ballet à Paris et tombe immédiatement sous le charme. Faisant fi des droits d’auteur, Bournonville décide de créer sa propre Sylphide pour le Ballet Royal du Danemark dont il était issu. Il s’approprie le livret d’Adolphe Nourrit mais délaisse le compositeur d’origine, Jean-Madeleine Schneitzhoeffer, pour proposer le projet à Herman Løvenskold. Depuis, le succès de ce ballet ne se dément pas, et ce depuis bientôt près de deux siècles !
Eva Kloborg, Anne Marie Vessel Schlüter et surtout Frank Andersen ont parfaitement réussi à transmettre à la troupe berlinoise l’essence de cette pièce maîtresse. Sans pouvoir rivaliser avec le corps de ballet de l’Opéra de Paris ou d’autres grandes maisons, les danseuses du Staatsballett nous proposent un acte blanc soigné et aligné, à l’interprétation juste. Le rôle clé était interprété par Maria Kochetkova, invitée pour l’occasion à Berlin. L’Étoile du San Francisco Ballet fait une entrée un peu hésitante, avec des demi-pointes-talons manquant de délicatesse (Iana Salenko aurait été indéniablement plus précise mais la soliste, enceinte, n’enfile pour l’heure plus ses chaussons). Kochetkova, petite ballerine à la morphologie idéale pour danser La Sylphide, gagne toutefois vite en contrôle. Diaphane, elle s’envole avec entrain dans l’espace, évoluant avec aisance et légèreté. Ses bras, sobres et gracieux, manquent peut-être un peu d’évanescence. À mon goût, ses menés pourraient être plus rapides et je reste avant tout sur ma faim quant aux arabesques penchées : pourquoi le pied de terre n’est-il plus 100% en dehors ? Trac ou fainéantise ? Ce n’est assurément pas lié à une technique défaillante. Mais c’est apparemment une mode qui tend à se généraliser. Dommage car ce détail devient de taille lorsqu’on est assise en plein milieu du quatrième rang…
La silhouette élégante de Marian Walter accompagnait savoureusement Kochetkova. Le soliste berlinois pénètrera encore mieux son rôle dans son esprit poétique au cours du deuxième acte. Son rival à la scène, Gurn, était interprété par Ulian Topor : belle présence. Idem pour Effie, incarnée par la toute jeune Alicia Ruben, pleine de fougue et rafraîchissante à souhait. Mentions spéciales à Aurora Dickie en Madge, ensorcelante, et à Alexia Gramma, jeune mais avertie élève de la Staatliche Ballettschule de Berlin, associée au corps de ballet dans le premier acte, qui brille par sa prestance scénique.
La machinerie finale qui permet à la sylphide morte de monter aux cieux dans une nacelle enchante toujours autant. James s’effondre de chagrin. Une fois n’est pas coutume, le Mal a triomphé mais comme le soulignait Théophile Gautier, La Sylphide nous aura montré « des ronds de jambes et des ports de bras qui valent de longs poèmes ».
OÙ ET QUAND ?
Deutsche Oper Berlin 12 mars 2019
Crédits Image de Une : La Sylphide, Maria Kochetkova © Yan Revazov