Toula Limnaios expose une splendide laideur

Volto umano, la nouvelle pièce de Toula Limnaios, débute là où son avant-dernière création, momentum, s’arrêtait : un esprit perturbateur, incarné par Leonardo D’Aquino en patins à roulettes, y tourbillonnait autour de corps, la scène se vidait instantanément, une table était dressée pour qu’un homme, seul, puisse enfin dîner calmement. On le retrouve assis, côté jardin. En fond de scène, une femme (splendide Karolina Wyrwal) s’extrait d’une montagne de corps en chiffon amassés, servant de coulisses, pour venir l’escalader. Côté cour, le restant de la troupe, agenouillé, grignote des craquottes…

 

volto umano, toula limnaios © Dieter Hartwig


Tout ce petit monde va ensuite très vite chavirer dans une fascinante cruauté, une maltraitance démesurée. Le duo va retrouver l’ensemble pour mieux se disperser et à nouveau se retrouver. Une première partie de spectacle concentrée sur les répétitions et décalages de mouvements. Un poil lancinante. La scène suivante nous expose des corps en pleine asphyxie, qui inspirent et expirent grâce à leurs poches à oxygène. Les lignes rampent tels des serpents suffocants, descendent et remontent la scène, rythmées par le beat entêtant de Ralf R. Ollertz. Les tensions commencent à se lire sur les visages. Priscilla Fiuza, d’une énergie époustouflante, se libère du groupe pour se transformer en maîtresse de six toutous qu’elle promène en laisse. Retournement de situation : la maîtresse finira par se noyer dans une gamelle d’eau, en essayant de passer un coup de fil, prenant son escarpin pour un combiné…

Possédés, les danseurs de Toula Limnaios le sont bel et bien. Entre attirances et répulsions, leurs corps explorent le surmenage de notre société, suintent bon la férocité de notre temps. Quel visage donner à la violence qui pénètre, un peu plus chaque jour, notre quotidien ? Comment se débarrasser de cette fine pellicule sociétale, fatale, qui nous colle à la peau ? C’est comme si nous étions imperturbablement guidés par un gourou, une force obscure qui dirige nos vies robotisées, uniformes : Daniel Afonso conduit ainsi par les cheveux Priscilla Fiuza, qui arpente et piétine, sans compassion aucune, les corps livides de ses acolytes, devenus de dociles obstacles. L’ambivalence dominé/dominant est portée à son comble lorsque les premières mesures du tube sulfureux de Gainsbourg « Je t’aime moi non plus » retentissent.

 

volto umano, toula limnaios © Dieter Hartwig

 

Toula Limnaios nous offre à travers volto umano une savoureuse mise à nue générale, étouffante, accablante, parsemée de quelques pulsions, sursauts de vie. L’humain dans toute sa splendide laideur.

 

OÙ ET QUAND ?

Halle Tanzbühne, 21 juin 2018

Crédits Image de Une : © Dieter Hartwig

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