Jamais trois sans quatre ! Après Border Border Express en 2011, Moussokouma en 2013 et Schlaflose Nächte en 2016, la danse contemporaine venue du continent africain s’est invitée à nouveau au Hebbel am Ufer de Berlin du 3 au 4 avril dernier. Sous l’égide bienveillante de son créateur et curateur Alex Moussa Sawadogo, l’édition 2019, intitulée Timbuktu is back!, a programmé beaucoup de danse et de performances avec, entre autres au menu, des créations de Nadia Beugré et Serge Aimé Coulibaly. Plus qu’un festival, une plateforme de réflexion sur le processus créatif des chorégraphes et sur les corrélations entre création et engagement social en vue du maintien de la paix.
Le 5 avril, le chorégraphe et danseur Alioune Diagne était programmé avec Siki. Une pièce qui retrace, parfois à l’aide de diapos, l’histoire de l’héroïque boxeur sénégalais, Battling Siki, premier Africain à devenir champion du monde de boxe en 1922 à Paris et qui fut assassiné à l’âge de 28 ans. Durant les années folles, ses combats sur le ring s’accompagnèrent d’une lutte constante contre le racisme, dans un entre-deux-guerres incertain. Diagne vs. Siki, danse vs. boxe. Deux hommes venant de Saint-Louis, qu’un siècle sépare et qui pourtant se révèlent être bien proches.
On sent que Diagne s’est plongé corps et âme dans une exploration physique et spirituelle, car après tout, comme le soulignait le non moins célèbre boxeur Mohammed Ali, « un grand boxeur doit avoir du rythme et de l’âme, il doit savoir danser comme Fred Astaire. » Diagne arrive sur scène looké tel un sapeur congolais, affublé d’une valise. Pendant les 50 minutes de spectacle, il ne cessera d’en sortir des objets et vêtements, gants de boxes et maillot de l’équipe de France de foot. La France, en toile de fond sonore, hantera d’ailleurs la scénographie : le chant de la 8e division d’infanterie coloniale retentira et ses paroles dérangeantes nous glaceront. La danse de Diagne, athlétique et circulaire, envahit l’espace, parsemée d’une gestuelle symbolique comme en témoigne par exemple cet enchaînement au sol, tournoyant autour de ses poings gantés. Un solo aussi éloquent qu’éprouvant à travers lequel le spectateur est amené à vivre une expérience forte, à la ressentir dans l’instant.
Plus poignant, le solo de la Malienne Fatoumata Bagayoko Fatou t’as tout fait nous entraîne au cœur de l’excision, pratique ancestrale d’une violence inouïe. Une tradition atroce qui, malheureusement, se perpétue inlassablement. Fatoumata, côté cours, entame le bal, éclairée par une douche tamisée. Tout son corps corpulent va être mis à contribution d’une pièce courte, aussi intense physiquement que bouleversante mentalement. Composée de chutes et de répétitions, sa danse va crescendo pour finir dans un bain de sang éclaboussant d’horreur. Sa gestuelle exprime la douleur, la peur, la colère quand les mots ne suffisent plus à décrire l`indescriptible. Bagayoko transforme la danse en forme d’art dynamique, vitale, épileptique. Sans cesse charrié, épuisé par le flux de mouvements, son corps se rue violemment sur le sol, dégageant une force intense et suant d’émotions déchirantes. Quand le mouvement est dédié à une cause, cela ne le rend que plus pénétrant.
Où et Quand ?
Hebbel am Ufer – HAU3, 5 avril 2019
Crédits Image de Une : Fatou t’as tout fait, Fatoumata Bagayoko © Anne-Laure-Misme