L’expérience commence chez soi, seul ou à plusieurs, Thomas Guerry nous invite à regarder un petit film réalisé par son frère Bertrand que l’on connaît notamment à travers les vidéos de All We can do is dance. Mais reprenons le sens de notre expérience, cela commence par une histoire filmée celle d’un petit garçon prénommé Claude et des différents protagonistes qu’il va croiser au long de sa vie, personnages intrigants dont on ne saura pas grand-chose mais qui laissent déjà place à l’imaginaire. Lorsqu’on se présente pour voir SEИS, on a donc une mémoire de ce film, mémoire individuelle et aussi collective… même si je ne connais pas les personnes qui sont assises auprès de moi dans la salle, je peux supposer qu’elles ont joué le jeu de cette découverte préalable et que nous allons partager quelque chose de commun.
Lorsque la pièce commence, une figure reconnaissable apparaît, Claude devenu vieux se balançant dans un rocking-chair de façon semblable à son grand-père, effet de flashback ici car nous avons déjà vu cette scène dans le film… Claude y étant enfant. Un rocking-chair qui grince bruyamment et de façon insistante, sur scène de drôles de machines dont une admirable, composée de piano et d’autres objets et une structure dotée de plusieurs portes. Comme dans chaque spectacle d’Arcosm, l’espace est théâtralisé, occupé de façon ingénieuse par des meubles-objets insolites, par des structures transformistes qui révèlent des atmosphères différentes et nous font changer de lieux et d’univers. Ici, outre le décor, les personnages nous conduisent dans un ailleurs poétique, rêve, paradis, qu’importe les personnages ont littéralement la tête dans les nuages et la couleur du voyage est donné, celui-ci comme dans L’étrange histoire de Benjamin Button nous fait remonter le temps et tandis que Claude passe d’un vieillard à un homme adulte, il recroise les personnages que nous avons déjà vus dans le petit film.
Il y a donc à la fois une reconnaissance, comme un retour vers un lieu connu et simultanément une distorsion de la réalité, homme à tête de valise, femme à tête de fleurs, autant de surréalisme poétique soutenu par une chorégraphie toujours aussi soignée chez Thomas Guerry qui utilise le talent de ses interprètes avec justesse. Et ces interprètes on a envie d’en parler justement, danseurs aux capacités individuelles remarquables, qualités de circassiens, de hip hopeur dans la douceur, danseuse dont les ondulations de la colonne la transforme sous nos yeux en une chimère chatoyante, danseurs/chanteurs, danseur/musicien (et avec excellence), tous percussionnistes corporels et capables de sortir du champ strict de la chorégraphie pour nous emporter ailleurs dans un monde où les machines jouent toutes seules où les maisons se transforment en vitrine, en arrêt de bus, et où les êtres deviennent : lampe enquiquineuse qui nous empêche de lire ou homme valise fort intrigant.
La bande son est comme toujours incroyable d’inventivité et teinte le spectacle de différentes couleurs à l’instar du travail de lumière qui participe lui aussi de l’œuvre au plateau. Tendresse et humour sont au rendez-vous, SEИS, nous bouscule parce qu’il fait resurgir des souvenirs d’enfance, des références culturelles… les personnages sont habillés de costumes qui se situent entre les longs pardessus et les habits de mandarins chinois introduisant un double exotisme : celui du voyage et des contrées lointaines renforcé par la présence au plateau d’une danseuse d’origine asiatique parfaite dans son rôle et dont on salue la capacité de relâchement tensionnel et la fluidité du mouvement, et l’étrangeté du film noir qui vient s’incruster dans notre esprit grâce à une affiche celle de Black Diamond, on pense à la chanson du groupe de rock Kiss mais aussi au Black Dalhia de James Ellroy ou aux films de Wong Kar-wai, lorsque la danseuse vêtue d’un fourreau asiatique se livre à une danse de cabaret, chausse des lunettes noires et parcourt le plateau sur des talons de 12 cm.
SEИS est un spectacle total d’une grande poésie, un spectacle qui nous raconte des histoires, celles que chacun s’inventera à partir de son vécu, mais aussi celle du plaisir immédiat des sens. Le décor, les costumes, la lumière, la musique, la chorégraphie et la vidéo préalable tout nous transporte et je me suis demandée si je partageais un peu de ce que Thomas Guerry portait en lui, un imaginaire de machines merveilleuses, de rencontres improbables entre des êtres poétiques qui cohabitent et dansent ensemble malgré leurs différences…ou si c’était juste ce que j’avais envie de voir ?
SEИS, création 2018 à La Rampe
Conception et mise en scène Thomas Guerry. Interprètes Noemi Etlin, Matthieu Benigno, Mychel Lecoq, Nicolas Grosclaude. Composition musicale Clément Ducol. Regard musical Quelen Lamouroux. Création lumière Bruno Sourbier. Création Son Olivier Pfeiffer. Scénographie Samuel Poncet. Dramaturgie Cédric Marchal. Réalisation Court Métrage Bertrand Guerry.
Vu à la Rampe-d’Echirolles le mardi 6 novembre création
SEИS à voir
La Garance, Scène Nationale de Cavaillon (84) jeudi 6 décembre 2018, 10h et 14h30, vendredi 7 décembre 14h30 et 20h
Théâtre du Pays de Morlaix (29) jeudi 13 décembre 2018, 14h, vendredi 14 décembre 2018, 10h et 14h, samedi 15 décembre 19h30
Très Tôt Théâtre, Scène Conventionnée Jeunes Publics, Quimper (29) mercredi 19 décembre 2018, 10h, jeudi 20 décembre 10h et 14h30, vendredi 21 décembre 20h.
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Image de Une, visuel de SEИS, Compagnie Arcosm crédit photo Nicolas Senegas.