Sankai Juku – Umusuna

Comme une longue méditation qui laisse des traces, la dernière création d’Ushio Amagatsu vient de s’achever au Théâtre de la Ville. Les danseurs viennent alors saluer, sans jamais quitter cet état propre au butô que développe le chorégraphe depuis plus de quarante ans.

Le spectacle

Le spectacle est construit comme une suite de tableaux qui retracent les cycles naturels. Des évocations qui mettent à l’honneur la place du corps sensible dans l’univers. L’être humain est en communion avec la nature et porte en lui la mémoire des générations passées pendant une heure et demi d’un spectacle hors du temps.

« Umusuna » commence et Ushio Amagatsu, seul en scène, nous appelle à l’introspection pour nous remémorer ces traces du passé. Puis entrent ses danseurs qui au fil des tableaux suivants retracent le cycle de la vie, de la naissance à la rencontre des quatre éléments, pour s’achever sur un retour à l’état originel.

UMUSUNA – Crédits: Sankai Juku cie

Le mouvement

Le geste est lent, mais les réminiscences se font rapides et, comme dans un rêve, les images défilent. Des images fortes qui nous surprennent et s’adressent à notre inconscient sans susciter d’interprétation, sans passer par le verbe, c’est le corps qui ressent. Car les corps se transforment, ils n’ont pas d’âge ni de genre fixe et se transmuent de tableau en tableau pour visiter les quatre éléments.

Chorégraphiquement on assiste à toutes les formes, des canons, des oppositions, des déplacements en quinconce ou des cercles qui changent de centre sans que la liberté des danseurs ne soit jamais mise en doute.

Dans une danse butô qui magnifie la diversité des interprètes on est happé par la force qui émane de ces corps aux mouvements répétitifs et quasi incantatoires.

UMUSUNA – crédits : Sankai Juku cie

En sortant…

Dans « Umusuna » on retrouve une idée essentielle du travail du chorégraphe. L’existence d’une mémoire collective qui se transmet depuis des millénaires et évolue à mesure que le cycle de la vie se reproduit sans cesse, notion qu’il évoque dans l’excellent «  Dialogue avec la Gravité « .

Derrière cette idée l’on peut comprendre que pour Ushio Amagatsu l’humanité possède une part d’universalité qui réside plus particulièrement dans le ressenti physique, l’empathie kinesthésique, inconsciente et indépendante de toute interprétation.

Et en effet, « Umusuna », si il n’est pas à conseiller aux plus jeunes, parle à tous et constitue une expérience forte et déroutante, qui prend au corps, et nous réveille de façon insoupçonnée.

 

« Umusuna » est à Paris au Théâtre de la Ville jusqu’au 11 mai, puis à Tokyo du 22 Mai au 2 Juin.

En savoir plus sur les tournées de la compagnie Sankai Juku.

 

L’encart technique

La magnifique scénographie témoigne du passage du temps à travers un sablier qui s’écoule tout du long. Le décors est sobre et symétrique comme pour mieux marquer les asymétries que créent la chorégraphie et la mise en lumière L’évolution scénographique semble symboliser le cycle de la vie. Une couleur par tableau : rouge, bleu, vert, jaune puis blanc dans un décors qui s’ouvre peu à peu à la lumière, des ténèbres de la naissance jusqu’à la lumière finale de ce qui ressemble à un recommencement.

Seul bémol, la bande son qui use systématiquement d’un fade out pour sombrer dans le silence entre chaque tableau. Là où la lumière et les décors se transforment de manière sinon homogène au moins cohérente avec les thèmes du spectacles, les musiques ne semblent jamais réellement s’achever mais ne restent pas pour autant en suspend, le niveau sonore diminue, mais la musique n’est pas finie et l’on a du mal à laisser se terminer chaque tableau pour entrer dans le suivant.

Aussi le niveau sonore général aurait mérité d’être plus important. Car, comme chez Merce Cunningham, la musique n’a pas de rôle narratif, elle a une vie propre qui place le spectateur dans un état d’esprit, prêt à recevoir le mouvement, sans pour autant l’accompagner. Dans ce cas la barrière imaginaire qui se créé lorsque le son émane du cadre de scène plutôt que de la scène elle-même prend tout son sens et requiert un niveau et une pression sonore suffisante qui m’ont semblé quelque peu manquer. Aussi, pour la même raison, il aurait été judicieux de plus exploiter le système surround du Théâtre de la Ville qui a le mérite d’exister.

 

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