Dans le cadre de la Performing Arts Season, les Berliner Festspiele ont programmé en ce début d’année trois représentations de Corps extrêmes de Rachid Ouramdane, qui eut sa première à Montpellier Danse le 23 juin 2021. Le chorégraphe français (et directeur du Théâtre de Chaillot) a toujours eu à cœur de cultiver les rencontres, de développer des témoignages et d’explorer des poétiques. Une salle comble et un public aux anges même si les fans de danse sont un peu restés sur leur faim.
Dans cette performance, Rachid Ouramdane nous plonge dans des situations extrêmes, face à des sportifs de l’extrême : la grimpeuse Nina Caprez et le highlineur Nathan Paulin qui se joignent à une équipe de circassiens surnaturels. En fond de scène, sur un haut mur d’escalade comme principal décor, une vidéo de Nathan est projetée. Sur un fil de 2 cm de largeur, le voilà qui traverse des cimes. Rythmé par sa propre voix qui nous explique combien les situations de stress physique et psychique lui procure un sentiment de liberté intense, il réitère sa traversée, cette fois à hauteur des perches de la scène. L’expérience est pour les spectateur.ices saisissante, les dépaysantes projections vidéos ne pouvant laisser impassible.
En 2019 déjà, Ouramdane avait, avec la pièce Möbius, métamorphosé de téméraires portés en fabuleux tsunamis d’étourneaux… Comme quoi l’expérience du risque ne le lasse absolument pas. Ayant dirigé le CCN2 — Centre chorégraphique national de Grenoble aux côtés de Yoann Bourgeois, son attrait pour le cirque nouveau est évident. Il a su observer ces acrobates et leurs corps-à-corps avec admiration. Ouramdane réussit à extraire de cette voltige toute leur force mais aussi leur fragilité, entre ivresse et chute. On comprend que l’essence même de leur motivation est d’être face au vide, comme pour mieux se retrouver face à eux-mêmes. La composition musicale de Jean-Baptiste Julien a certainement pour mission de mettre en relief la scénographie vertigineuse. Selon moi, son genre mélodramatique assomme plus qu’il n’élève.
Rachid Ouramdane, désirait se « focaliser sur la fascination qu’exercent les notions d’envol, d’état d’apesanteur, de suspension, de planer… » Depuis toujours, le concept de danser dans les airs, que le danseur puisse prendre son envol, fascine. Le mythe de Nijinsky, par exemple, faisant des sauts éblouissants et défiant ainsi la gravité demeure bel et bien vivant : « Au travers de chorégraphies aériennes réalisées par ces athlètes aventuriers et artistes, l’idée est de révéler ce que ces individus hors normes tentent d’approcher dans leur quête pour échapper à la gravité ».
Dans le dernier tableau, les circassiens ne cessent de se projeter sur le mur d’escalade pour retomber en équilibre sur les épaules ou dans les bras de leur souteneurs, sans aucune peur et avec une étonnante légèreté. Corps extrêmes est une traversée onirique aux confins des possibles où l’on savoure flirter avec le vide. Un témoignage aussi percutant qu’émouvant, entre ciel et terre, même si la danse est indéniablement la grande absente de cette œuvre. Elle aurait pourtant été d’un grand éclairage dans le paysage.
OÙ ET QUAND ?
16 janvier 2024, Berliner Festspiele
Crédits Image de Une : Corps extrêmes, Rachid Ouramdane © Pascale Cholette