Le 25 juillet 2017, le public de Vaison Danses a pu découvrir la nouvelle création de Thierry Malandain, Noé, joué au Théâtre Chaillot à Paris juste en mai dernier. Thierry Malandain est un habitué de Vaison Danses. L’année dernière, le public avait pu savourer le fabuleux ballet Cendrillon.
Pour cette présentation de Noé en plein air, la pièce d’une durée de 70 minutes a été adaptée pour 18 danseurs, au lieu de 22 à Chaillot (en raison d’un imprévu de dernière minute) : un brin moins déployé certes, mais l’oeuvre est toujours aussi passionnante et inspirée que la première à Chaillot.
Créé en 1998 à Biarritz, le Malandain Ballet Biarritz est un des dix-neuf Centres Chorégraphiques Nationaux (CCN) existant en France. Aujourd’hui, c’est une des compagnies les plus vues en Europe avec 80000 spectateurs par saison, avec près de cent représentations par an. Auteur impressionnant et prolifique (on parle d’environ 80 chorégraphies créées depuis ses débuts), Thierry Malandain a su forger un répertoire cohérent, profondément lié au ballet. Son style est souvent qualifié de « neo-classique », même si le chorégraphe n’apprécie pas particulièrement le terme, trop réducteur à son sens.
Sa troupe est ainsi constituée d’interprètes de formation classique, avec une esthétique sobre et intemporelle. Du ballet académique, il en a gardé la richesse, la puissance, la grâce, et il y a intégré son propre vocabulaire chorégraphique, ainsi qu’une patte très personnelle, reconnaissable dès les premières scènes.
Et quand nous allons voir une nouvelle pièce de Malandain, il y a comme une excitation, un réel plaisir à découvrir ce que le maître a pu imaginer. D’ailleurs, Noé que nous attendions de pied ferme, saisit nos sens dès les premiers instants. La pièce commence par une scène coup de poing, avec le meurtre d’Abel par Caïn. D’emblée, elle donne le ton, Noé ne tracera pas seulement l’histoire de l’Arche, mais fera aussi référence à d’autres drames bibliques. De l’histoire de Noé, d’ailleurs très peu utilisée en danse, il a davantage retenu la richesse symbolique que le message religieux. La pièce aborde les thèmes de l’humanité et sa destinée, l’environnement, le couple… et aussi l’inexorable cycle des événements et des tragédies qui recommence à l’infini.
À travers le mythe du déluge, commun à diverses traditions, la figure de Noé crée une sorte de rupture dans l’histoire de l’humanité. Résumant le passé et préparant l’avenir, elle symbolise la naissance d’un nouveau monde, meilleur que le précédent, renaissant après une destruction douloureuse. L’humanité qui s’est embarquée dans l’arche pour un périple de quarante jours en sortira transformée.
Avec ces concepts en tête, Malandain met en scène un Noé plus abstrait faisant référence à une figure commune à différentes civilisations ayant vécu un déluge et sauvées par un guide, un messie, providentiel et protecteur. La pièce imagine ainsi la naissance d’un nouveau couple Adam et Eve, lié à l’eau plutôt qu’à la terre.
La représentation de l’eau a de ce fait, bénéficié d’une attention particulière, tour à tour élément destructeur ou régénérant. Nous avons été subjugués par les chaînes des danseurs formant recréant les vagues et les mouvements de la mer. Combinés avec les nuances de bleu du décor, la vision est apaisante et sereine.
Construit symétriquement, allégorie aux couples embarqués sur l’Arche, Noé offre un spectacle étourdissant, alternant pas de deux virtuoses et mouvements de groupes hypnotiques. De symétrie à l’unisson, le développement de la chorégraphie surprend aussi par quelques exceptions asymétriques, un peu comme des dissonances dans une trop belle organisation. D’ailleurs, dans le même esprit, le chorégraphe prend un malin plaisir à casser les codes du ballet classique, en faisant parfois jouer les rôles « masculins » aux interprètes féminines, et vice-versa.
D’autres moments assez inattendus de la part de Malandain, s’avèrent plus expérimentaux et innovants, tels les gestes inspirés de danses tribales, ainsi que les imitations animales. Autre parties intéressantes dans le ballet: la mise en veille des danseurs, assis à tour de rôle en fond de scène face au public, comme les passagers d’un bateau en attente.
Il faut se rendre à l’évidence, Malandain est un orfèvre dans l’occupation de l’espace, le tout combiné à un sens exceptionnel du rythme : rythme coulant au plus juste sur la partition majestueuse de Rossini, mais aussi rythme fascinant de la mise en scène. La construction de l’action monte progressivement en puissance. Particulièrement dans la deuxième partie, elle ne lâche à aucun moment l’attention du spectateur, pendu à la performance, jusqu’au dénouement (spoiler alert) tragique.
Par rapport aux pièces récemment plébiscitées du chorégraphe, telles Cendrillon ou Roméo et Juliette, Noé est certainement moins accessible, car il ne bénéficie pas de l’aura d’un conte de fée ou d’une histoire déjà connue. Il s’agit cette fois-ci de faire l’effort d’imaginer, de saisir, de comprendre les enjeux de ce périple au-delà de la performance. Même si l’on peut apprécier la performance magnifique des danseurs chevronnés et indubitablement synchrones, la chorégraphie prend toute son ampleur, quand le spectateur prend conscience des parallèles religieux et culturels. Oeuvre risquée, Noé se démarque probablement comme une création plus personnelle de Malandain.
Le spectacle fini, le public de Vaison Danses a aussi bénéficié d’une séquence « après-scène » avec le chorégraphe en personne, Thierry Malandain. Animé par Antoine Abou (Université pour tous), il était bien là, en chair et en os, accoudé à la scène. Nous avons pu découvrir un homme dévoué à son art, il s’est exprimé sur son travail de chorégraphe, sur ses inspirations, et sur Vaison. Ambiance détendue, la star de la soirée s’est montrée ouverte et accessible, répondant aux questions du public visiblement enchanté. Bravo pour cet esprit !
Noé, création 2017. Ballet pour 22 danseurs (joué à 18 danseurs à Vaison Danses). Durée : 70 minutes
Chorégraphie : Thierry Malandain. Musique : Gioacchini Rossini – Messa dit Gloria. Décors et costumes : Jorge Gallardo. Conception lumières : Francis Mannaert. Réalisation costumes : Véronique Murat. Conception décors : Frédéric Vadé. Maître de ballet : Richard Coudray, Françoise Dubuc.
Artistes chorégraphiques
Ione Miren Aguirre, Raphaël Clémence Chevillote, Mickaël Conte, Frederik Deberdt, Romain Di Farzio, Baptiste Fisson, Clara Forgues, Mickaël Garcia, Irma Hoffnen, Miyuki Kanei, Mathilde Labé, Hugo Layer, Guillaume Lillo, Claire Lonchampt, Nuria López Cortés, Arnaud Mahouy, Ismael Turel Yagüe, Parricia Velazquez, Allegra Vianello, Laurine Viel, Daniel Vizcayo, Lucia You González.
Coproduction
Chaillot – Théâtre National de la Danse (Paris), Opéra de Saint-Étienne, Donostia Kultura – Teatro Victoria Eugenia de Donostia / San Sebastián – Ballet T, CCN Malandain Biarritz
Image de Une, Noé de Thierry Malandain, photo Gia To.
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