Le Nederlands Dans Theater (NDT) revient une fois encore fouler les planches du Haus der Berliner Festspiele. Mais il laisse cette fois-ci la place à sa compagnie junior, tout aussi fascinante, le NDT 2. Créée en 1978, la troupe compte en plus de son répertoire, riche de plus de 650 œuvres, un nombre intarissable de grands noms intemporels et internationaux de la chorégraphie. Au programme de ces quatre soirées berlinoises, quatre pièces signées Edward Clug, Marco Goecke ou encore Sol León & Paul Lightfoot, mettant savoureusement en valeur la virtuosité et la fluidité de la nouvelle génération (âgée de 17 à 24 ans), énergique et élégante, qui a la chance d’évoluer dans des conditions créatives extraordinaires.

Mutual Comfort (2015) d’Edward Clug ouvre le bal. Une pièce courte de 13 minutes, convulsive, aux contours précis. Le chorégraphe roumain explore un sens du mouvement tout personnel, combinant articulations et lignes sinueuses. Il se joue des contrastes et contradictions, oscille entre mouvements brusques ou moelleux, entre secousse et sérénité. Le quatuor de danseur.ses évolue avec dextérité sur les changements fréquents de rythme. Les corps palpitent, s’entremêlant en une synchronie impeccable. La gestuelle, prolixe et concise à la fois, vient ponctuer la partition de Milko Lazar, tout en poésie. De belles images s’enchaînent comme cette danseuse, allongée sur le ventre, dont les extrémités se soulèvent pour mieux se transformer en toupie intrigante. Mention spéciale à Tess Voelker dont le contrôle et la présence scénique étaient bluffants.
Sad Case (1998), créé par Paul Lightfoot et Sol León lorsque cette dernière était enceinte de sept mois, constitue peut-être l’une des œuvres clés du duo phare du NDT. La recette, bourrée d’hormones, n’a pas pris une ride : mélangez musique mambo mexicaine, voix et sifflements à une chorégraphie remplie de mouvements déconcertants, ludiques et extrêmement physiques et vous obtiendrez un concentré de sensualité, souvent rehaussé d’une pointe d’humour sarcastique. Lightfoot considèrerait même affectueusement sa pièce comme un « tsunami d’énergie, à la fois par la musique et la danse ». Le quintette envahit l’espace sans se désolidariser. Composé de Fay van Baar, Amanda Mortimore, Toon Lobach, Surimi Fukushi et Boston Gallacher, il est tout simplement exquis, aussi rigoureux qu’exubérant, terrible et tendre à la fois.

La seconde pièce signée León/Lightfoot, Subtle Dust, a été créée en mars dernier à la Haye. Le couple s’inspire à nouveau de la musique de Bach (trop forte pour certains tympans !), compositeur tant apprécié tout au long de leur carrière de chorégraphes. Vêtus de dentelles, en noir et blanc, les huit interprètes explorent le concept de la transformation, que celle-ci soit émotionnelle, physique ou spirituelle. Tout en métaphore et méditation, les corps s’approprient l’espace, prennent leur propre chemin. Ils se confondent en une intense fluidité puis se libèrent. Des pirouettes dans le sol succèdent aux arabesques/attitudes en plié. Les mouvements se font encore plus profonds en décélération. Vingt-huit minutes très physiques mais jamais les chevillent ne tremblent. Le propos chorégraphique ne se renouvelle toutefois pas énormément et même si l’esthétique demeure délicieusement soignée, c’est peut-être trop léché à mon goût…

Enfin, Wir sagen uns Dunkles (2017) de Marco Goecke, chorégraphe associé de NDT, se penche sur le complexe binôme danseur-chorégraphe, entraîné par un mix de partitions de Franz Schubert et d’Alfred Schnittke sur des chansons du groupe rock britannique Placebo. Goecke malaxe à nouveau avec génie les danseurs du NDT, imprégnés jusqu’au bout des ongles de son vocabulaire percutant et épileptique, très marqué, focalisé sur les bustes neutres et originels. Sept danseurs et quatre danseuses, asexués (et nappées de pantalons à franges, cousues sur les coutures latérales), se donnent la réplique, sortent et entrent en scène en dérapant, tels des silhouettes plumées, excitées par le show. Les bras s’agitent, les corps frétillent, s’ondulent et se contorsionnent en harmonie avec la lumière minimaliste. C’est punky, hypernerveux, fantastique et pourtant j’ai l’impression d’un déjà-vu : le manque de renouvellement certain me refroidit. N’aurait-il pas mieux valu faire un autre choix de programme ? Une pièce de Hans van Manen ou de Jiří Kylián aurait assurément ajouté de l’éclectisme à la soirée…
OÙ ET QUAND ?
Haus der Berliner Festspiele, Berlin
11 octobre 2018
Crédits Image de Une : Wir sagen uns Dunkles, Marco Goecke © Rahi Rezvani