Eric Gauthier, comme promis il y a un an, est revenu à Berlin. Le showman qu’est le directeur de la compagnie stuttgartoise Gauthier Dance n’a pas manqué de nous refaire un petit speech en début de spectacle pour nous rappeler combien Berlin demeure unique à ses yeux, soulignant en toute honnêteté qu’il avait dit exactement la même chose au sujet de Chicago aux spectateurs du Harris Theatre une semaine auparavant… En bonne forme, il nous a également relaté une savoureuse anecdote concernant son coiffeur berlinois. De quoi conquérir le public avant le lancement du programme Mega Israel composé de trois pièces de chorégraphes israéliens. À noter que ni le directeur (canadien) ni aucun des 18 danseurs et danseuses de la troupe sont de nationalité israélienne.

Uprising (2006), pièce signée du chorégraphe anglo-israélien Hofesh Shechter, nous propose une danse concise, colérique et souple à la fois, reflétant à merveille notre société sous tension. Alignés, sept hommes s’avancent vers le public et nous fixent en équilibre retiré. Des soldats-danseurs prêts au combat, affublés de pantalons baggy, sweat-shirts colorés et chaussettes grises. Shechter travaille le mouvement, sculpte le geste, avec beaucoup de liant. Sa danse, hantée par une pulsation primitive, animale, anime des corps aussi lourds que virtuoses, qui se relâchent comme attirés par le sol, comme ancrés dans la terre. Les tableaux défilent, les lignes se joignent et se dispersent tout en symétrie. Les duels virils se transforment en duos amicaux, les agresseurs en agressés, les tapes dans le dos en claques sur le visage. L’éclairage, souvent aveuglant, parsème de-ci de-là la scène. Tel un chorégraphe-réalisateur, Shechter développe une énergie des masses qui électrise émotionnellement. Percussionniste confirmé, il réalise lui-même la bande-son de ses créations. Ici, il y a quelques ajouts du duo britannique Vex’d. Les beats sont assommants, oppressants.

Plus intime, Killer Pig (2009) de Sharon Eyal et Gai Behar regroupe tous les éléments chers à la chorégraphe israélienne : uniformisations des corps, neutralité des costumes, créatures androgynes, focalisation sur le mouvement continu, emploi abusif de la marche, dynamique de groupe, langage hypnotique et minimaliste. Eyal a le don de nous transporter à travers une épopée extraterrestre, jusqu’à épuisement. Dans Killer Pig, conçue pour six danseuses, Sharon Eyal conjugue divers aspects de la sensualité entre délicatesse et froideur. Un palpitant contrepoint esthétique à Uprising. On peut toutefois se demander ce que vient faire ce solo très classique au milieu de la pièce… Mention spéciale au solo de Sandra Bourdais en début de pièce dont la grâce sied parfaitement au rôle d’amazone.

En parfaite conclusion, Minus 16 (1999) de Ohad Naharin confirme son caractère culte. Remixée pour le Gauthier Dance, la pièce est un ovni inclassable, un pot-pourri d’émotions universelles et de partitions indémodables, allant de Dean Martin aux chants traditionnels israéliens en passant par le Stabat Mater de Vivaldi. Et le demi-cercle meublé de chaises met indéniablement en valeur la puissance de la danse naharienne. Le final où des spectacteurs sont invités à venir danser aux côtés des danseurs demeure le clou du spectacle. On aime ou on n’aime pas mais ça marche à tous les coups. Niveau interprétation, rien à redire : le show est parfaitement rodé. Et c’est peut-être ce trop plein de perfection qui dérange : on ne peut qu’apprécier cette danse israélienne mais, en programmant ces trois chorégraphes, Gauthier joue la carte du „in“ à 100 % et des goûts bien dans l’air du temps. Peut-être un peu trop facile. Plutôt que de vouloir plaire et impressionner avant tout, on aurait apprécié un programme éveillant davantage la curiosité.
OÙ ET QUAND ?
Haus der Berliner Festspiele, 11 avril 2019
Crédits Image de Une : Killer Pig, Sharon Eyal & Gai Behar © Regina Brocke