Mass portrait de groupe en résistance par Pierre Pontvianne

Une ligne de chaises coupe le plateau en deux, y siègent trois hommes et quatre femmes, plusieurs générations, une diversité de morphologies, comme un petit résumé de l’humanité spectatrice qui vient les voir. Ils attendent, en observateurs patients, que le public se place, comme si pour eux, le spectacle est d’abord et avant tout, dans la salle. Le noir se fait et la voix de David Mambouch rythme et pose les mots du texte qu’il a écrit, commence alors un savant tissage entre danse et mots, « C’est un motif très populaire. Ils se tiennent par la main, vont à la suite les uns des autres et toujours dans la même direction« , ce leitmotiv qui sera répété de nombreuses fois au cours de la pièce engage la sarabande des danseurs. La ligne de front des chaises ne bougera pas, les danseurs l’utilisent comme une membrane poreuse, se faufilant entre, se frôlant d’avant en arrière, toujours dans un déplacement frontal puis amorcent un glissement latéral qui les déplacent lentement de jardin à cour. La danse est fluide, incessante, elle semble légère mais comme toujours chez Pierre Pontvianne, son écriture est d’une rigueur horlogère, la précision des positions permet la fluidité des déplacements, les motifs et leurs variations nourrissent la chorégraphie sans l’épuiser. Les danseurs utilisent les interstices laissés vacants pour y trouver des espaces de liberté, la danse est déplacée à son insu par les interprètes, en une fresque mouvante et toujours renouvelée créant un effet quasi hypnotique pour le spectateur.

Mass, Pierre Pontvianne©cieparc.

Les mots de David Mambouch, quant à eux,  sont périodiquement coupés dans leur élan par un motif musical The Art of Instrumentation : Hommage à Glenn Gould par Gidon Kremer et Kremerata Baltica, les danseurs deviennent alors des tableaux arrêtés avant de reprendre leur sarabande qui se développe parfois en trio, duo, investissant les diagonales avant du plateau puis ils reprennent plus ou moins sagement leur place sur leurs sièges. Petit à petit par les mots et les gestes l’histoire se tisse, une histoire universelle, celle de notre finitude et l’on comprend que cette sarabande n’est autre qu’une danse macabre, cette ronde qui met à égalité, riches et pauvres, beaux ou laids et qui abolit toute distinction dans la mort puisqu’inexorablement : « tous connaîtront le même sort, tous finiront au même endroit, aux protocoles des hommes les morts opposent un ordre irrévérencieux et chaotique car les vivants comme eux finiront dans la misère et l’anonymat tous connaîtront la mort avec sa pourriture, ses vers sa destruction physique irréparable », s’en suit une sorte d’inventaire de l’humanité avec ses conventions sociales, ses rites, et tout cela nous fait penser à la description d’un étrange cabinet de curiosités, à ces tableaux de vanité, allégorie de la mort, du temps qui passe et de la vacuité de nos vies.

Mass, Pierre Pontvianne©cieparc.

Et pourtant, au cœur du spectacle, le rouge jaillit comme un cœur battant, inondant de sa lumière un homme et une femme comme sidérés par les mots puissamment poétiques de David Mambouch, une ode à l’amour car « les hurlements des dieux n’y pourront rien changer » et les corps semblent s’apaiser sous les mots. Puis la danse reprend plus vive et la voix plus forte et la conjugaison des deux, donne à voir de nouvelles expressions de cette masse qui vibre sous nos yeux, pièce en résonance avec l’actualité sociale et son agitation, soulèvements spontanés et parfois chaotiques. Tout cela pourrait paraître fort noir, il n’en est rien, la danse même lorsqu’elle s’inspire des lancers des casseurs ou du chaos des manifestations, reste claire et forte, soutenue par le texte de Mambouch, qui excelle autant dans la citation, la parodie humoristique que dans la pure poésie. Tout pourrait finalement n’être qu’une grinçante comédie, celle de la vie humaine qui toujours se presse avec espoir vers un ailleurs qui lui fait sublimer sa finitude et le texte nous indique cela « la perspective qu’on peut voir au loin très loin tout là-bas tout au fond tout au bout un signal » chacun lui donnera sa propre signification, personnellement je lui donnerai celui de résistance, une façon de dépasser la vanité de nos existences et d’exercer une forme de lutte sur scène comme dans nos vies. Il me semble que c’est à cela que Pierre Pontvianne et ses complices au plateau nous convient !

Mass, Pierre Pontvianne©cieparc

Mass créé le 17 octobre 2018 à l’Atelier de Paris-CDCN, vu le 16 janvier 2019 au Théâtre du Vellein de Villefontaine.

Chorégraphie Pierre Pontvianne. Interprétation  Jazz Barbé, Laura Frigato, Florence Girardon, Mathieu Heyraud, Catherine Jodoin, David Mambouch, Marie-Lise Naud. Conception sonore Pierre Pontvianne. Création texte David Mambouch. Création lumière Valérie Colas. Création décor Pierre Treille.

Texte du spectacle, s/a/r/a/b/a/n/d/e, David Mambouch, production Compagnie PARC, livret conçu et édité avec le soutien de RAMDAM, un centre d’art, imprimé en janvier 2019.

Mass, Pierre Pontvianne©cieparc.

Prochaines dates

30 et 31 janvier 2019 à 20h, CDN – Comédie de Saint-Etienne

Pour en savoir plus sur la compagnie PARC c’est ici !

Image de Une, visuel de Mass, Pierre Pontvianne © cieparc.

 

Written By
More from Véronique

La part du rite conférence-performance de Latifa Laâbissi

Le CCN2 propose le vendredi 16 mars à 19h, La Part du...
Read More