Le 21 juillet dernier, le Festival Vaison Danses nous avait créé l’évènement, en invitant deux des plus grands artistes danseurs hip hop du moment : Jon Boogz et Lil Buck. Le duo nous a même fait l’honneur d’un spectacle en première européenne, car Love heals all wounds (en français L’amour guérit toutes les blessures) n’avait été présenté qu’aux Etats-Unis en janvier 2018.
A travers ce message d’optimisme, hymne à la vie, la pièce jette une lumière passionnée sur les problèmes sociaux auxquels nous sommes confrontés en tant que communauté mondiale. A travers la danse, la parole et la musique, nos artistes nous invitent à explorer notre conscience sociale collective, sur le racisme, sur la condition des femmes. L’interprétation est d’une force saisissante. La gorge se noue sur ces scènes et ces images fortes, souvent dures, d’injustices et de discrimination.
Les mouvements disloqués et dans le même temps, fluides de Lil Buck nous transportent vers des domaines totalement atypiques en danse. Inclassable, il arbore pourtant des influences et des inspirations familières. Ses gestes nous donnent le vertige, donnant l’impression de défier la gravité, grâce à sa technique de pointes (soutenue par des orteils en béton armé). Pour vous donner une idée de sa maîtrise totale de son corps : il est capable de tenir sur le bout de ses doigts d’un seul pied (et sans chaussures, s’il en a envie), la pointe dans un sens, le bassin dans l’autre, tout en donnant l’impression de planer.
L’artiste a développé ce style complètement fou, dans la rue et dans les cours de ballet qu’il a suivi, alors encore adolescent. « J’ai vite compris que le jookin’ pouvait développer ma créativité. J’ai donc commencé à me pousser à fond pour devenir le meilleur jooker que je pouvais être. » La danse classique « m’a apporté l’élégance de la musique et m’a poussé à veiller aux détails auxquels je n’aurais peut-être pas prêté attention. A partir du moment où un interprète académique bouge ses bras d’une position à l’autre, tout est déjà question de grâce et de précision. ».
Nommé parmi les 25 danseurs “A voir absolument” par Dance Magazine US, Lil Buck a collaboré avec un nombre impressionnant d’artistes et marques de tous horizons, dont Apple, Lexus, Glenddich, Louis Vuitton, Versace, Madonna, Benjamin Millepied, Spike Lee, et bien sûr Spike Jonze et Yo-Yo Ma dans The Swan (vidéo devenue virale en 2011 sur Youtube avec plus de 3 millions de vues).
Quant à Jon Boogz, son charisme crève la scène. Il a réussi à doter son collectif MAI (Mouvement Art Is), d’une chimie hypnotique. Chaque danseur est capable de nous faire réagir aux messages exprimés, avec une élégance et une maîtrise du mouvement inouïe. Pas étonnant, quand on sait que Jon Booz est un artiste du mouvement, chorégraphe et metteur en scène, qui cherche à faire évoluer la danse et partager avec des publics de tous horizons, sa volonté de fusionner toutes les formes d’art, non seulement pour fournir quelques chose d’inspirant aux spectateurs, mais aussi pour les sensibiliser aux grands sujets de société.
Initialement attiré par la danse, via les prouesses de Michael Jackson, Jon Booz a travaillé avec les plus grands, dont Naomi Campbell, Gloria Estefan, Michael Jackson (pour One), le Cirque du Soleil et Pharell Williams. Il est aussi impliqué dans les campagnes des marques Lexus, Apple et Adidas.
Enfin, le troisième génie de Love heals all wounds ne figure pas en tête d’affiche, mais cette personne supporte la pierre angulaire du spectacle : Robin Sanders. Ses mots accompagnent les pièces, et sa poésie, mélange de douceur et de force, de sensibilité et d’appel à la prise de conscience, sur les grands sujets qui nous importent aujourd’hui : conséquences imminentes du changement climatique, immigration et l’injustice raciale, tout en célébrant notre dévouement indéfectible au renforcement de la communauté humaine mondiale. Ses mots poignants prennent la forme d’un autre art, aussi dans l’univers hip hop : le slam.
« Palms callused from ungloved hands that carry blocks of sun-dried mass we lay bricks that form walls. That make us feel safe and separate and better, and insolated from the undesired and unwelcomed to keep out and hold in. We make math of this masonry, call it long division. »
La diction de Robin Sanders nous emporte, nous fait rêver, nous fait réfléchir. Textes déclamés en anglais, certes, mais le public de Vaison a été réceptif au lyrisme et à la force de ses écrits. Pour apprécier la portée de ses messages, chaque programme distribué était accompagné d’une traduction de ses textes.
A travers ce message clair, Love heals all wounds cherche à unir et à sensibiliser le public tout en créant le dialogue et en invitant à l’action. Les images sont fortes, d’autant plus percutantes avec une scénographie dépouillée, avec des lumières aveuglantes et saturées. Nous sommes cloués devant les scènes de souffrance, d’injustice. Cela correspond à la philosophie de Jon Boogz : “Nous ne croyons pas que la danse est juste un divertissement. Nous croyons qu’elle est un outil pour inspirer, éduquer et responsabiliser.”
Lors de cette incursion à Vaison, la troupe a pris cette philosophie au pied de la lettre, en invitant l’école de cirque et danse Badaboum, à les rejoindre sur scène. Le public a ainsi pu être témoin d’une séquence de battle hip hop épique, entre les danseurs et les élèves qui ont assuré !
Enfin, pour clôturer cette soirée mémorable, la rencontre en bords de scène animé par Antoine Abbou, a donné l’occasion d’entrer un peu plus dans l’univers de ces artistes d’exception.
Distribution
Chorégraphie Lil Buck and Jon Boogz. Danseurs Jon Boogz, SHEstreet, Ninja Nao, Lil Buck, Keviorr « Tip Toe » Taylor, Ron « Myles Yachts ». Danseuse et artiste de spoken word Robin Sanders. Lumières John Bass. Musiques Chizzy, DBR & Wondagurl, Jason Yang, Parker & Marshall Mulherin, Izzy Beatz, Wizz Dumb. Production Chisa Yamaguchi (Sozo Artists).
Image en une : Lil Buck par Gia To (giatophotography.com)