Dans le cadre du projet politico-culturel « Australia now Germany 2017 », le Bangarra Dance Theatre est l’invité du Haus der Berliner Festspiele du 26 au 28 octobre. L’occasion de découvrir une forme de théâtre de danse toute particulière, empreinte d’une force mystique, surnaturelle, peut-être parce qu’en wiradjuri (la langue d’un groupe aborigène de Nouvelles-Galles du Sud), Bangarra signifie « faire du feu »…
En lien permanent avec les communautés aborigènes des quatre coins de l’Australie, le Bangarra Dance Theatre a été fondé en 1989 à l’époque où le gouvernement australien reconnaît officiellement les souffrances infligées (autrefois et aujourd’hui !) aux Aborigènes. L’initiatrice du projet : Carole Johnson, une danseuse et activiste afro-américaine arrivée en Australie en 1972. C’est également au milieu des années 70 que le National Aboriginal Islander Skills Development Association (NAISDA) Dance College ouvre ses portes. Un centre de formation (dont est issu un bon nombre des danseurs de la troupe, composée d’Aborigènes et d’Insulaires du détroit de Torrès) soucieux de protéger ces danses rituelles, terriennes. En 1995, le spectacle Ochres marque la reconnaissance internationale du Bangarra Dance Theatre. Suivront beaucoup d’autres créations…
Dirigée depuis 1991 par Stephen Page, la compagnie puise son inspiration de la terre et du ciel, de la faune et de la flore, des histoires de famille et des gestes des ancêtres. Un héritage lourd de 40 000 ans d’histoire que Page et sa formation cherchent à transmettre à travers un langage corporel universel à un large public.
Le rideau se lève sur Macq de Jasmin Sheppard : une femme se lamente sur la dépouille d’un homme. La pièce relate le Massacre d’Appin le 17 avril 1816, perpétré par le gouverneur Lachlan Macquarie. Un homme apprécié qui pourtant devra supporter le choix de cet acte. Le duel Beau Dean Riley Smith vs. Daniel Riley est poignant de charisme. L’aborigène et le gouverneur tournoient autour d’une longue table rectangulaire qui ajoute une touche de fatalisme à ce quotidien d’une tension déjà palpable. Puis, vision d’horreur, des corps pendent et se balancent lentement, retenus par des proches. Les solos et duos s’enchaînent et nous plongent dans l’univers du refoulé. Les tableaux défilent, l’éclairage parsème de-ci de-là la scène. Plongés dans des moments de solitude, les interprètes délaissent la danse pour une pantomime abstraite, brute et évocatrice.
Plus dansé, Miyagan de Beau Dean Riley Smith et Daniel Riley évoque une histoire de clans en terres wiradjuri au début du 20e siècle, abrités sous un arbre à plumes ombrageant la scène. Un retour aux sources pour les deux chorégraphes en quête d’identité, de sentiment d’appartenance. Le résultat de cette recherche : une saga communautaire où les ensembles sont rois. Une danse souple et fluide, hantée par une pulsation primitive, animale, tribale. Les jambes sont rarement développées, les pieds souvent flex. Les bras s’enroulent, passent sous et entre les jambes. Les mains s’expriment, les colonnes se courbent. Les corps crispés et lourds se relâchent comme attirés par le sol, comme ancrés dans la terre. Mention spéciale à Yolanda Lowatta qui, par sa présence, sort du lot !
La troisième pièce, la plus longue mais aussi la plus cadencée, nous emmène sur les traces de l’artiste yolngu, Nyapanyapa Yunupingu, interprétée tout en sensibilité par Elma Kris. En toile de fond, une œuvre reflétant des animaux, des hommes, des ombres non identifiées. La musique, composée par David Page et Steve Francis, oscille entre rock et beats, et se parsème de mélodies traditionnelles, de paroles rituelles ou de phrases en anglais et aborigène. Le rythme est parfois donné par des percussions, mais aussi par les pieds ou les mains des danseurs. De la scène aux trois trios (vêtus de splendides costumes pourpres signés Jennifer Irwin !) émane une poésie d’impulsions tout organiques, vitales. Puis, toute la troupe tourbillonne autour de la protagoniste centrale dans un rock endiablé qui envahit tout l’espace. Les danseurs sont époustouflants d’énergie : ils se lancent dans des sauts vertigineux pour retomber tout en agilité dans le sol. Plus élégiaque mais tout aussi touchant : ce tableau ombragé qui présente les danseurs cachés ou en duo avec des ombres de femmes en carton dont les têtes touffues rappellent du gui. Place au recueillement : Elma Kris surgit avec un calumet propageant de la fumée. Elle dessine avec des cercles rappelant le caractère circulaire de nos vies…
Une pièce puissante, tout en images et allégories qui souligne la force créatrice du Bangarra Dance Theatre. Peut-être gagnerait-il cependant à s’échapper un peu de cette étiquette de « danse ethnique », qui plus est, mélange quelques ingrédients de gros shows à l’américaine (musique un brin tonitruante, surplus d’accessoires, costumes parfois chargés)… Petit bémol purement personnel !
BANGARRA DANCE THEATRE in Berlin Oct 26-28 from Artefakt Kulturkonzepte on Vimeo.
OÙ ET QUAND ?
Haus der Berliner Festspiele, du 26 au 28 octobre 2017.
Crédits Image de Une : © Vishal Pandey.