Lauréats (re)connaissance 2017

Le dernier concours (re)econnaissance a offert, cette année encore, un condensé de ce qui émerge, traverse la jeune danse contemporaine. Diversité, surprise, qualité étaient au rendez-vous de cette 9ème édition avec toujours ce challenge pour le public et sans doute le jury de choisir parmi les pièces présentées sachant que les formats imposés (10 à 25 minutes) obligent les chorégraphes à présenter des extraits ou des découpages de leurs pièces qui ne permettent pas toujours de rendre totalement hommage à celles-ci. Cette année la présence de soli et de duos vient aussi perturber la donne et troubler un peu plus le choix à effectuer. Tâche particulièrement difficile car que juger ? Virtuosité et technique des danseurs, force et présence sur le plateau, construction chorégraphique, émotion ressentie, cohérence du propos…bref, tâche quasi impossible et on comprend mieux les mots d’introduction aux soirées de Yoann Bourgeois un des co-directeurs du CCN2 de Grenoble et partenaire de l’événement qui préfère y voir une plateforme d’accueil et de diffusion de la jeune danse. Et de rappeler que certaines propositions sont plus abouties que d’autres, que cette fragilité même est à défendre et que plus qu’une compétition, il faut envisager (re)connaissance comme une possibilité d’échanges et de frottement avec ses pairs, le public et les professionnels quels qu’ils soient.

Il est vrai que si la formule très condensée des deux soirées peut gêner, elle offre aussi une opportunité remarquable de découvrir sur un temps court et dans un même lieu douze compagnies ou chorégraphes originaires de France, d’Europe et cette année d’Afrique du Sud.

Deux soirées assez différentes, le vendredi accueillant plutôt les soli, 3 sur 6 propositions alors que le samedi favorise pièces de groupe et duos (3).

Difficile eu égard à la grande diversité des propositions de dégager des points communs. On retiendra, l’engagement physique sous toutes ses formes ( Home, Everything is OK, Lazarus and the birds of paradise, Touch down, Guerre, Lowland, Border), la virtuosité ( Fleshless beast, Over), l’acte politique ( Lazarus et Border), la poésie (Lowland, Duo), la dérision ou l’absurde (Horion, Everything is ok, Kromos), autant de propositions qui nourrissent, interrogent, interpellent, bouleversent ou laissent parfois à distance…

Parmi ces 12 chorégraphes, Oona Doherty avec Lazarus and the birds of paradise émerge comme un diamant brut. Et on se réjouit qu’elle ait raflé à la fois le prix du public et le prix du jury.

Lazarus and the birds of paradise, Oona Doherty ┬® Christian Rausch.

Oona renverse les codes et les barrières, démarrant sa pièce à l’extérieur sortant du coffre d’une voiture, elle exécute des pas de danse hip hop avant d’entraîner le public dans le théâtre où elle surgit encapuchonnée comme un tagueur nocturne armée de deux bombes qu’elle actionne répandant un étrange parfum. Porosité entre l’espace public et l’espace dédié de la scène comme pour dire que l’art et la vie sont pour elle indissociables ou que les espaces dédiés devraient s’ouvrir davantage à la rue, lieu où elle puise ses références et une partie de son inspiration. Corps noyé dans un survêtement qui transgresse le genre, ni fille ni garçon, mais silhouette familière pour qui connaît les cités populaires. Son personnage nous renvoie à ceux de La Haine de Kassovitz ou plus récemment de Divines d’ Houda Benyamina. Mêlant mime, hip hop, théâtre vocabulaire chorégraphique contemporain, la performeuse construit un langage corporel affûté, précis, soutenu par un message vocal qui utilise la technique du morphing, les mots se transformant selon le sens voulu.

Lazarus and the birds of paradise, Oona Doherty ┬® Christian Rausch

Gestes violents et éructations, corps sous tension, qui ne fait que reproduire la violence sociale présente dans les rues de Belfast, ville d’origine d’Oona Doherty. Le génie de la danseuse est de donner à voir de la beauté, de la poésie là où on ne l’attend pas. À travers une physicalité particulière qui joue de changement de tonicité musculaire, de rupture de rythme, de vélocité extrême dans certains mouvements et d’abandon du corps dans d’autres, Oona Doherty fait émerger de l’ado rebelle de la rue une piéta classique quasi extatique sur la musique du Misere Mei Deus d’Allegri, auquel se surajoute la bande son du documentaire Wee bastards ? Entre délinquance et pure beauté la chorégraphe crée un pont entre le spirituel et le quotidien le plus désespérant. Avec une énergie sidérante et un regard empathique sur l’humain Oona livre un spectacle coup de poing qui bouscule nos repères, et dessille nos paupières.

Inutile de vous dire que nous avons été touchés, émus mais aussi bluffés par la cohérence et la pertinence du travail de cette chorégraphe repérée lors de Springforward 2016.

Il n’est peut-être pas anodin de rappeler que le deuxième prix du jury Marco D’Agostin est lui aussi passé à Springforward 2016 et on peut se réjouir que ce festival diffuse et par là-même soutient, ces vrais talents européens.

Everything is ok, Marco D’Agostin ┬® Christian Rausch.

Le propos du jeune chorégraphe italien est de s’interroger sur ce que l’on peut recevoir quand il y a excès. Excès de mots, de gestes, comment retenir quelque chose dans les flux ininterrompus. Pour nous mettre à l’épreuve, Marco D’Agostin se livre à une double logorrhée, verbale puis gestuelle qui nous entraîne vers un double épuisement celui du danseur et celui du spectateur submergé par la quantité d’informations, d’images, de sons, de gestes perçus à travers ce solo en flux continu. Est-ce que tout va bien comme le prétend le titre du solo Everything is ok ? On n’en est pas si sûr lorsqu’il se termine laissant tout le monde exténué, le danseur dont on a pu apprécier la performance physique et le public qui commence à se demander ce qu’il peut capter et retenir dans un spectacle qui sature les sens. Marco D’Agostin avec élégance et sans l’air d’y toucher pose la question du trop, d’images, de mots, de gestes, qui finissent par brouiller la perception de la réalité et confine à une forme d’absurdité. Une belle façon de nous faire réfléchir, parfois avec humour, à notre angoisse du vide et du silence. Paradoxalement l’agitation de Marco D’Agostin nous invite à la méditation.

Horion, Malika Djardi ┬® Christian Rausch.

La mention spéciale du jury a été décernée à Horion de Malika Djardi, duo facétieux et inventif ou deux improbables Adam et Eve, voient leur corps résonner à chaque coup de batterie comme indépendamment de leur volonté. Sortes de marionnettes animées par les coups sonores, les danseurs se livrent à des parades, des jeux, utilisant les baguettes comme des accessoires pour se transformer en oiseaux ou en personnages grotesques. Un duo enlevé, plein d’humour et qui a apporté une touche de légèreté fort appréciée lors de la soirée du samedi.

Rappel des lauréats 2017

Lazarus and the birds of paradise, Oona Doherty ┬® Christian Rausch

1er prix du jury Lazarus and the birds of Paradise de Oona Doherty. Coproduction de 7000€ avec un temps de résidence au Pacifique Centre de Développement Chorégraphique National Grenoble- Auvergne-Rhône-Alpes

Everything is ok, Marco D’Agostin ┬® Christian Rausch.

2ème prix du jury Everything is ok de Marco D’Agostin Coproduction de 4000€

Prix du public Lazarus and the birds of Paradise de Oona Doherty Coproduction de 4000€ (829 votants sur les deux soirs)

Horion, Malika Djardi ┬® Christian Rausch.

Mention spéciale du jury Horion de Malika Djardi Tournée

Le montant des prix est attribué par Le Pacifique, la Maison de la Danse, le Théâtre National de la Danse Chaillot – Paris, la MC2 Scène nationale – Grenoble.

Par ailleurs, les partenaires s’engagent à diffuser un ou plusieurs spectacles ou extraits dans une programmation partagée, à offrir des coproductions, à s’engager sur des accueils la saison suivante. Les structures implantées sur un même territoire favoriseront une synergie dans l’accueil de leur (re)connaissance.

On attend déjà avec impatience l’édition 2018 dont on sait déjà qu’elle offrira de nouvelles surprises notamment dans la forme de la plateforme (re)connaissance.

Image de Une, visuel de  (re)connaissance 2017 crédit photo Christian Rausch.

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