La grande sincérité des Faux semblants de Bouziane Bouteldja

C’est peu dire que le  chorégraphe Bouziane Bouteldja est un chorégraphe engagé, il l’est comme citoyen dans la cité, à travers les nombreux projets, et actions qu’il déploie dans une politique de la ville qui se résume parfaitement dans le titre qu’il a choisi pour sa compagnie Dans6T localisée à Tarbes. Formations, mise à disposition de lieux, cours et travail de réflexion autour des spectacles, actions menées dans les quartiers et plus particulièrement celui de Laubadère.

Engagement aussi au travers des thèmes récurrents de ses créations : identité, émancipation, rapport à la sexualité, à la religion, à l’autre que l’on côtoie ou qui est en nous. Français d’origine algérienne, Bouziane Bouteldja livre au plateau la violence d’un vécu partagé par de nombreux jeunes aujourd’hui, assis entre deux cultures, tiraillé entre tradition et modernité parfois envahissante, volonté de liberté et difficulté à aller contre des tabous ou des croyances qui clouent leurs ailes au sol.

Les Faux semblants, Cie Dans6T (c) Gilles Rondot.
Les Faux semblants, Cie Dans6T (c) Gilles Rondot.

Depuis 2012 avec Altérité ( 1er Prix du concours [re]connaissanc e]) qui pose la question de l’identité et du rapport à l’autre, le chorégraphe creuse un sillon qu’il approfondit avec Réversible où il pointe la religion comme possible oppression, avec Les Faux semblants, sa dernière création,  ces thèmes restent en filigrane mais sont abordés au regard de la société du spectacle dans laquelle nous vivons, de la tyrannie des apparences et des faux semblants auxquels nous nous livrons sans vergogne, multipliant nos visages et nos facettes dans une tranquille insincérité.

Profitant d’une résidence au CDC/Pacifique de Grenoble, la compagnie se plie à l’exercice de la répétition ouverte livrant un travail déjà largement abouti.

Au-desus de la scène de grands portraits suspendus dans des cadres monumentaux, deux icones Marylin et Marlon Brando, et trois portraits de chacun des danseurs en mode selfie décontracté, ou du genre que vos amis postent sur facebook et deux cadres vides…le décor est planté.  Qui sont ces gens qui nous apparaissent sous un jour flatteur, dans la beauté insolente de leur jeunesse ? Dérision lorsque l’on sait les destins des deux icones du cinéma hollywoodien. Qui y-a-t-il sous le vernis lisse des photos ? On ne l’apprendra que plus tard, quatre danseurs entrent sur le plateau et se livrent à un exercice d’ensemble, entre hip hop et danse contemporaine, la mécanique des déplacements et croisements se fait sans heurt sur une musique jazz…puis vient un salut déroutant car le spectateur ne comprend pas si la pièce est déjà finie alors qu’elle semble à peine commencée. Moment d’auto-dérision ou question plus profonde : qui suis-je au plateau ? Chacun se présente dans un salut individualisé, façon cabaret, révérence classique ou pin up déhanchée, vogueur branché, hip hopeur désinvolte ou contemporain concerné… Faux semblants mais aussi vraie question sur la limite entre la vie réelle et la vie jouée sur scène ?

L’oscillation entre cette limite ne cessera pas tout au long du spectacle, qui sème des indices contradictoires : retrait de la chemise noire du show de départ pour revêtir un t-shirt plus familier mais qui devient véritable élément de scénographie,  jeu du selfie de groupe en portrait encadré, fin de la bande son et installation derrière un des cadres vides d’un musicien qui transforme le quartet en quintet et anime à proprement parler la scène d’un son produit en live, entre platine, murmures, chant et instrument. La couleur change alors et prend une densité accentuée par des prises de parole qui nous plongent dans une violence quotidienne, dans un questionnement identitaire et qui libère la danse.

Les Faux semblants, Cie Dans6T (c) Gilles Rondot.
Les Faux semblants, Cie Dans6T (c) Gilles Rondot.

 Et là, on ne peut se tromper sur la sincérité des corps, pour l’accompagner Bouziane a choisi deux garçons, l’un venant du Maroc, l’autre originaire de Mayotte, une danseuse toulousaine et un musicien tunisien. C’est la première pièce qu’ils travaillent ensemble, les histoires, les cultures,  les techniques sont différentes (hip hop, danse contemporaine, jazz) mais les corps sont d’un engagement et d’une sincérité absolus, avec cette qualité rare, encore brute des diamants qui n’ont pas encore été totalement façonnés par de longues années avec le même chorégraphe. Il y a une fraîcheur, une spontanéité, une prise de risque dans le mouvement qui rappelle, bien sûr la confrontation du battle mais qui ici est mise au service d’une histoire, d’un groupe qui accepte la singularité de chacun quitte à se recentrer parfois à travers les codes de la danse classique, en un petit clin d’œil jouissif. Le chorégraphe  utilise chaque individualité, laissant chaque danseur révéler sa propre identité corporelle. Une danse puissante, engagée non dénuée de sensualité. Une dédicace spéciale pour le musicien excellent dans son accompagnement tant sonore que physique de la pièce.

Les Faux semblants, Cie Dans6T (c) Gilles Rondot.
Les Faux semblants, Cie Dans6T (c) Gilles Rondot.

Les Faux semblants sans avoir l’air d’y toucher questionnent notre rapport à l’image, la vacuité et le pouvoir de celle-ci notamment à l’heure des réseaux sociaux. Comment peut-on être soi dans un monde qui nous incite à prendre la pose ? Entre divertissement (au sens noble du terme) et questionnement la pièce livre les messages chers au chorégraphe, culture, identité, liberté de l’individu, violence, acceptation de l’autre qui sonnent étrangement d’actualité en cette période électorale…

Les Faux semblants

Direction artistique et chorégraphie : Bouziane Bouteldja

Interprétation : Bouziane Bouteldja, Mustapha Dahbi (Maroc), Naïs Haidar, Hélène Teytaut.

Interventions musicales et sonores : Khalil Hentati (Tunisie)

Création lumière : Catherine Chavériat

Regard sur la dramaturgie : Kheireddine Lardjam

Scénographie et conseil artistique : Gilles Rondot

 

Première

Le jeudi 10 novembre à 20h30 au Parvis de Tarbes réservations ici.

Tournée

7 mars 2017 à Marrakech

9 mars 2017 à Casablanca

28 avril 2017 à Vitry sur Seine

Pour en savoir plus sur la Cie Dans6T c’est ici !

Image de Une, Les Faux semblants, Cie Dans6T, Bouziane Bouteldja crédit photo Gilles Rondot.

Tags from the story
,
Written By
More from Véronique

Faire dialoguer la photographie et la danse

C’est ce que souhaite le chorégraphe Pedro Pauwels, qui depuis 2013 est...
Read More