Je sens le beat qui monte en moi, Yann le Quellec (2012)

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Le visage mystérieux de Rosalba, encore transi de sommeil, s’étire dans un large bâillement. Elle enfile une robe carmin, accroche des boucles d’oreilles écarlates, s’apprête à enfiler des salomés rouges – quand soudain, une mélodie au piano se fait entendre.
Irrépressiblement, Rosalba est avalée par le rythme, emportée par le son. Ses pas battent la mesure, ses pommettes s’animent, ses épaules, son corps tout entier dessinent la valse qui s’engouffre par la fenêtre. Prise de convulsions incontrôlables, elle ne noue ses chaussures qu’au prix d’un effort considérable.

 

La scène d’ouverture de Je sens le beat qui monte en moi recèle quelques-unes des surprises merveilleuses qu’offre ce premier court-métrage : un environnement visuel lumineux et épuré, une relation amoureuse au son et au bruit qui embrassent chaque image, un humour entre geste et absurde ; autant de témoins de la forte impression de Jacques Tati, mais aussi éléments cousins de la filmographie d’Abel et Gordon. À l’instar de ces derniers, Yann le Quellec offre un rôle à part entière à la ville, pour le moins inattendue, de Poitiers (incarnée par Le Havre dans La Fée), ville qu’explorent les personnages et qui, « sous une architecture sobre, cohérente, ne parvient pas à cacher tout à fait son anormalité, voire un grain de folie » explique-t-il. Cette scène entrouvre par-dessus tout le syndrome d’une vie, celui de Rosalba, qui ne peut s’empêcher d’exécuter une danse étrange, irrésistible, dès que la musique vient à sa portée.

« L’idée de ce court-métrage m’est venue au sortir de la chorégraphie Out of Context, tandis que j’avais été saisi par la puissance de Rosalba Torres Guerrero. Elle avait par ailleurs collaboré au travail de Pina Bausch. En rentrant chez moi, j’ai croisé le chemin de musiciens péruviens, et comme chaque jour leur musique m’est insupportable… C’est la collision de ces deux évènements qui m’a inspiré le syndrome dont souffre Rosalba, quand le personnage d’Alain est lié à ma passion pour la northern soul ».

 

En effet, la fébrilité de Rosalba devient difficile à cacher dans son environnement professionnel ; elle travaille en tant que guide touristique à bord d’un combi Volkswagen blanc, espace sacro-saint d’Alain, électrifié par la northern soul, flûtiste à ses heures, tout de bleu vêtu. Leur rencontre maladroite amène le développement d’un cadrage plus libre, plus désordonné, dans un monde bleu, rouge, blanc entre silence et frénésie. Au-delà de la bande originale, chaque son trouve sa juste place dans cette première œuvre de Yann le Quellec, irriguant un humour par gags qui s’inscrit dans une forte tradition burlesque. Le thème du corps et de son contrôle irradie  une mise en scène poétique – l’église – voire esthétique par instants – la séquence des pieds, objet par ailleurs récurrent au cours du film. C’est cette frénésie que sa caméra réussit à capter en se mouvant peu à peu au rythme de ses personnages, portant sur eux tendresse et une certaine forme de naïveté du jeune cinéaste qui cherche moins à prouver qu’à trouver sa mesure.

Anne-Laure Huet

Cet article a été publié en premier sur le merveilleux blog ciné « Cinecdoche« 

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