Sasha Waltz voulait-elle piquer la vedette du Staatsballett (dont elle ne prendra réellement les rênes qu’à la saison prochaine) en programmant son Roméo et Juliette un jour avant la première tant attendue de la troupe berlinoise (une soirée Stijn Celis / Sharon Eyal) ? Mettons plutôt ce choix sur un aléa de calendrier… Pour ajouter du glamour (très brillante idée !) à sa compagnie Sasha Waltz & Guests, trois solistes de l’Opéra de Paris (pour qui la pièce a été créée en avril 2015) étaient invités à danser les rôles clés : Ludmilla Pagliero, Germain Louvet et Alessio Carbone, accompagnés par la mezzo-soprano Ronnita Miller, le ténor Thomas Blondelle et la basse Byung Gil Kim (effarant !).
Jeux d’ombres et de lumières. Univers en noir et blanc. Narration abstraite. Une scène sur la scène, composée de deux plateformes qui ne cesseront de s’articuler pour finir par se suspendre dans les airs, faisant office de balcon, de salle de bal ou encore tout simplement de murs. Si la chorégraphe allemande a du talent, c’est indéniablement dans sa gestion de l’espace, allié à son goût pour la polyvalence : chez Waltz, l’artiste se veut multifonction même si la fusion n’est pas toujours réussie, comme en témoigne l’interminable scène finale, tout en manichéisme. Les chœurs Capulet vs. Montaigu, engoncés dans de beaux et lourds costumes, s’y font face avant de s’allonger soudainement : malheureusement, un chanteur n’a pas forcément la même agilité qu’un danseur…
Pour évoquer ce premier amour tragique, Sasha Waltz a fait le choix d’une des partitions les moins connues (mais non moins lyrique !), sur les vers d’Émile Deschamps : la Symphonie Dramatique d’Hector Berlioz (1839), dirigée par le chef d’orchestre Thomas Søndergård. En plus de la partition, on retiendra surtout le long pas de deux où Juliette et Roméo se courent l’un après l’autre puis s’enrobent de leur passion débordante : corps voluptueux, bustes sous tension, enlevés portés qui tranchent l’air… Quant à Alessio Carbone, il est bluffant de charisme en frère Laurent et notre regard ne se porte que sur lui lors de son solo, malgré une scène abondamment chargée.
Si certains pensent que la force de Sasha Waltz réside dans ses ensembles, ils s’égarent. Son vocabulaire y est froid, répétitif, lancinant. Sa gestuelle, équivoque. C’est toutefois cocasse telle la scène du bal qui voit défiler des danseuses-pantins en tutu, plus tout à jeun. On ne s’en fait pas moins happer par une scénographie étonnement envahissante, masquée sous son esthétique sobre. Grattez le décorum et vous ne trouverez pas grand-chose à vous mettre sous la dent, chorégraphiquement parlant ! Jamais la danse ne l’emporte sur la musique, peut-être parce que le mouvement waltzien, même répétitif, perd souvent en imagination…
OÙ ET QUAND
6 septembre, Deutsche Oper Berlin
En reprise les 7, 9 et 10 septembre
Crédits Image de Une : © Bernd Uhlig