Au secours, les vieux s’évadent !

Le temps du festival DansFabrik, Brest est devenu la capitale de la danse. Poésie urbaine, art chorégraphique à l’intense diversité, spectacles français, belges, kényans, allemands… le programme était chargé. C’est comme ça qu’on danse a choisi pour vous cinq oeuvres, à découvrir chaque jour sur notre site pendant une semaine.

L’air hagard, en pleine rue, sept petits vieux avancent, en file, tenant dans les mains des plateaux de cantine. On dirait qu’ils sont sortis par erreur de la maison de repos qui les accueille. Petit à petit, chacun calque son pas sur celui de la personne devant lui. Un petit air d’accordéon démarre. En cadence, ils esquissent un petit pas de côté, puis de l’autre. Le rythme s’empare de leurs corps.

L’équipage s’arrête. Leurs regards émerveillés scrutent les alentours. Les visages se détendent au contact des rayons du soleil, et forment des sourires de satisfaction. Certains respirent à pleins poumons l’air de la liberté retrouvée. La musique reprend. Après avoir exécuté une nouvelle danse d’évasion, commence une drôle de scène de “petites annonces troisième âge” (à 1’20 sur la vidéo) :

À la fin de leur speech, chacun d’entre eux s’adresse au hasard à une personne dans le public : « Allez, je suis sympa, tu veux pas m’adopter? Faire un bout de chemin avec moi?« , puis partent bras dessus bras dessous avec l’élu(e), conversant de la pluie et du beau temps.

Mais le ton enjoué tout d’un coup devient amer. « On s’est mal compris« , lance à son interlocuteur un petit vieux. « Ah ben si c’est comme ça j’aime mieux être seul« , dit un autre. Tous laissent leurs compagnons adoptifs, et repartent, finalement, de leur côté, illustration de l’incompréhension inévitable entre les personnes âgées dépendantes et “les autres” (proches, aide-soignants…).

Après une nouvelle marche qui bat la mesure, les fugueurs s’alignent à nouveau devant leur public. Des voix enregistrées -les leurs- se mêlent à la mélopée : « La vie passe trop vite… ils veulent me mettre dans une maison de retraite… mais je suis en pleine forme… On ne vient jamais me voir… »

Crédits photos : Anaïs LLobet – CCCDanse
Crédits photos : Anaïs LLobet – CCCDanse

Quelques larmes perlent dans les yeux de certains spectateurs. Ces petits vieux si attachants ne pourraient-ils pas être nos grands-parents, nos parents… peut-être nous, un jour?

Pas le temps de déprimer. La farandole de l’évasion reprend sur un air plus gai. Bientôt, chaque ancien prend à parti une personne dans le public. Camille, petite mamie au visage pétillant, alpague notre reporter Anaïs: « Claudiiiie, ça fait longtemps! Oh t’as pas changé dis donc!« . S’ensuit un monologue interminable. Camille piaille, raconte ses amours de jeunesse: « Ah j’en ai profité hein, j’en ai eu des coups de foudre, j’men ferai bien un p’tit dernier! Mais bon, les mecs, ils sont moches ici. »

La mémé déjantée continue: « Je pète la forme, regarde« , et exécute sous les yeux ébahis des spectateurs un véritable French cancan, (quelle souplesse!) se retournant, pour soulever sa robe et montrer sa culotte. Pas farouche, la mamie! L’assemblée se tord de rire. « Ah ça me fait plaisir Claudie, on devrait se faire ça plus souvent hein, allez, à la prochaine« , lance-t-elle à notre journaliste désemparée avant de s’éloigner.

Nous voilà de l’autre côté de la maison de retraite. Les petits vieux ont formé une véritable barricade au milieu de la rue. Pierrette, septuagénaire, devient Marianne, révolutionnaire : en haut de l’escabeau dont elle a gravi les marches sans broncher, elle hisse un drapeau et harangue la foule.

C’est au tour du vieux beau à la barbe blanche et aux yeux bleus de monter en haut de la tribune, tenant toujours son plateau-repas. Il regarde l’assemblée, l’air décidé, et soulève lentement son plateau. Soudain, ses doigts lâchent leur prise. Bol, verre, yaourt volent en mille éclats et éclaboussent la chaussée.

Un à un, ses camarades se lèvent, l’oeil malicieux, et jettent à leur tour les plateaux de cantine. Ils exultent. Sous un tonnerre d’applaudissements, au lieu de saluer le public, nos compères s’enfuient en courant à l’autre bout de la rue. Les mains des spectateurs continuent de battre à tout rompre… Voilà l’échappée belle qui revient dans une voiture bleu ciel! Leurs petites têtes se penchent par les fenêtres du véhicule… qui passe à travers la barricade puis se fraye un chemine au milieu du public. Au revoir, vieillesse, savoure ta liberté!

Crédits photos : Bénédicte Lutaud – CCCDanse

Les dates de tournée d’Echappées Belles, par Doriane Moretus et Patrick Dordoigne, sont à retrouver bientôt sur www.adhok.org.

Vidéos : Bénédicte Lutaud

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