Come back Dawsonien

Dimanche 26 septembre : d’un côté, un vote allemand très attendu, de l’autre, une première berlinoise… très espérée ! Le Staatsballett de Berlin a profité du second confinement pour débuter des répétitions avec l’un des chorégraphes anglais les plus en vue du moment. Et élaborer, pour sa rentrée, une soirée 100 % David Dawson qui (ré)veille nos sens et idéaux après plus d’un an de disette scénique…

Voices, David Dawson © Yan Revazov

S’il ne fallait retenir qu’une chose de ces deux pièces ce serait que la danse est sans conteste au centre de l’œuvre de Dawson. Comme dans Citizen Nowhere (créé en février 2017 pour le Het Nationale Ballet d’Amsterdam) ou Voices (tout juste créé pour le Staasballett), nuls artifices scéniques ou musicaux ne sont en mesure de piquer la vedette au langage chorégraphique incisif et décalé, actuel et aérien, mais qui jamais ne transgresse l’essence même du ballet classique, tout en lui offrant cependant un nouvel air.

Dans Citizen Nowhere, le sentiment de solitude prédomine. Seul, perdu, Olaf Kollmannsperger (superbe, surtout dans son haut du corps, le bas de jambe pouvant être toujours plus minutieux, à mon goût) se présente presque entièrement nu, au milieu de la scène. La demi-heure qui s’en suit annonce un tour de force aussi technique qu’artistique. Une introspection juste, ornementée d’enchaînements de pas qui se répètent sans jamais alourdir le propos. Les mouvements d’une danseuse (Sasha Mukhamedov du Het Nationale Ballet), projetés en fond, viennent agrémenter le solo obscur, baigné dans un univers étoilé de chiffres et de lettres, comme si le danseur nous entraînait dans l’inaccessibilité qui l’entoure. En quittant la scène, reformant une cinquième position de ses mains, il laissera derrière lui à nouveau une image projetée… « On ne voit qu’avec le cœur », aimait souligner Antoine de Saint-Exupéry. Dawson le cite volontiers pour illustrer cette délicieuse ode à l’intériorité.

Citizen Nowhere, David Dawson © Yan Revazov

En seconde partie, Voices brille par sa pluralité. Dix saynètes, duo, ensemble, sextuor se succèdent au cours d’une petite heure, rythmée par une partition éponyme de Max Richter (2020), dédiée également aux Droits de l’Homme et à la Déclaration de 1948. Dawson a voulu transcrire en gestes sa signification globale, soit l’exigence de dignité humaine et de justice que chaque être humain a ou devrait avoir. Une gestuelle simple mais emplie d’émotions, parfaitement tissée d’un bout à l’autre de la pièce. Ainsi, Polina Semionova (d’une pertinence appréciable dans son interprétation) rappellera à la tombée du rideau le même geste du début : une main sur sa bouche, non sans évoquer, peut-être, le silence face au bafouement des Droits de l’Homme. Ou bien cela voudrait-il plutôt dire qu’il est déconseillé de critiquer les Droits de l’Homme ? Il serait dommage d’intellectualiser cette pièce, Dawson n’en restant pas moins, avant tout, un chorégraphe. Une sorte d’apprenti-sorcier des émotions, aux airs de Forsythe. Un poète de l’abstrait qui déconstruit les codes du ballet pour mieux jouer avec les déséquilibres et les dérapés, qui intercale des pirouettes pliées et fait s’enchevêtrer les lignes des quatorze danseur.ses avec vélocité. Un orfèvre du canon qui examine l’espace jusqu’à son recoin le moins inexploré. L’unique solo de la divine Aya Okumura porte la pièce au sommet de son émotivité. Je lui préfère le sextuor composé de Sarah Jane Brodbeck, Weronika Frodyma, Polina Semionova, Konstantin Lorenz, Sacha Males et Alejandro Virelles où l’infini mouvement prend des accents d’irréel.

Voices, David Dawson © Yan Revazov

Le bémol : la musique. C’est une question de goût, mais elle est indéniablement dans l’air du temps. Lancinante plus que fascinante, elle a cependant le mérite de se faire oublier pour mieux laisser le regard se concentrer uniquement sur le mouvement. Et qu’est-ce qu’il est indéfiniment touchant !

OÙ ET QUAND ?
Deutsche Oper, 26 septembre 2021

Crédit Image de Une : Voices, David Dawson © Yan Revazov

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