Balanchine, Forsythe, Siegal au Staatsballett de Berlin

L’ultime première de la saison du Staatsballett berlinois à la Staatsoper de Unter den Linden a eu lieu le 4 mai. Au programme, pas moins de 70 ans d’histoire du ballet réunissant George Balanchine, William Forsythe et Richard Siegal. Deux œuvres iconiques pour les deux premiers et une création pour le dernier, qui souffre de la comparaison. Indéniablement le meilleur choix de la saison pour les directeurs Johannes Öhman et Sasha Waltz. Comme quoi les chorégraphes révolus peuvent s’avérer plus créatifs que nos contemporains…

 

Theme and Variations, George Balanchine. Staatsballett Berlin © Yan Revazov

 

Theme and Variations de George Balanchine, créé en 1947 sur la musique de Piotr Ilyitch Tchaikovski (ici savoureusement interprétée par la Staatskapelle Berlin, sous la baguette de Paul Connelly), n’a pas pris une ride. Le rideau se lève sur Maria Kochetkova, aux côtés de Daniil Simkin, qui enchaîne des dégagés, dignes d’un exercice basique du milieu : le plus court chemin de l’élégance à la perfection ne serait-il pas la simplicité ? Les lustres, les diadèmes et les somptueux tutus en velours, donnant dans des dégradés de bleu, nous rappellent que l’heure est au strass, aux grands ensembles du Ballet Académique russe et de Marius Petipa. La chorégraphie, longue d’une demi-heure à peine, ne cessera d’aller crescendo. Précision des lignes qui se font et se défont avec une grande clarté, rigoureuse disposition géométrique des 26 danseurs, enchevêtrement de bras, rapidité de bas de jambes, pirouettes, sauts, équilibres : tout est là ! Sans oublier les marches jazzy, les passages en dehors/en dedans et les déhanchés du haut du corps chers à Mister B, d’une musicalité inégalée. Sa danse rend réellement la musique visible. Une danse qui encore et toujours porte au sommet la ballerine, en toute subtilité.

Le corps de ballet berlinois, réactif, maîtrise jusqu’au bout des pointes cette exigeante pièce, réputée être l’une des plus difficiles du répertoire. Le quatuor Iana Balova, Cécile Kaltenbach, Krasina Pavlova et Luciana Voltolini est délicieux de désinvolture. Il pourrait même piquer la vedette à la soliste Maria Kochetkova, petite danseuse manquant peut-être de présence dans le rôle. Techniquement, les deux solistes emballent toutefois le public même si, dans sa variation, Danil Simkin, dont les ronds de jambe en l’air sont du plus bel effet, entame plus tardivement que d’accoutumée sa série de tours en l’air et pirouettes, pour cependant mieux enchaîner les doubles… On regrette que la polonaise clôt déjà cette pièce si courte !

The Second Detail, William Forsythe. Krasina Pavlova, Staatsballett Berlin © Yan Revazov


The Second Detail
de William Forsythe, créé en 1991 pour le Ballet National du Canada à Toronto, explore le mouvement avec une précision inouïe en multipliant les déhanchements et jeux de bras. Le maître de l’épaulement contraire et du déséquilibre assumé façonne comme aucun autre chorégraphe les corps des 14 danseurs et danseuses, en tuniques et collants gris perles, qui transpirent de complexité et absorbent la vitesse tout en contrôle et délicatesse, au diapason d’un monde toujours plus contradictoire. Je dirais même qu’une sorte de nonchalance, parfois amusante, émane de la gestuelle des interprètes, solides et fluides, dont les bustes et les bras se décalent tout en synchronisme, sur une cadence d’enfer. Notez l’amplitude des sauts et l’aisance dans les pirouettes de chacun et chacune : le Staatsballett a indéniablement gagné en dextérité et maîtrise le langage complexe de cette œuvre d’anthologie comme s’il était naturel. Les individualités ressortent savoureusement. En tête de lice, l’élancée Weronika Frodyma et Alexander Shpak qui prend un réel plaisir à s’échiner à l’idiome forsythien.

Richard Siegal, créateur du Ballet of Difference, clôturait le triptyque, « agréablement étonné » d’avoir été convié par le Staatsballett à créer Oval pour la troupe berlinoise. Danseur pendant près de dix ans au sein de la Forsythe Company, Siegal développe un style tout naturellement influencé par celui de son maître. Sur scène, un anneau oval de métal (signé Matthias Singer) oscille entre projections laser et 12 danseurs en académiques ou tuniques latex qui vont et viennent. Ils errent plutôt comme des âmes en peine… Si Siegal a le mérite de faire partie de ces très peu nombreux chorégraphes qui continuent de choyer les pointes, son vocabulaire n’a rien d’innovant. Les effets peuvent impressionner dans la forme mais le fond chorégraphique n’arrive pas à se démarquer, et ce, malgré toute la bonne volonté des danseurs et danseuses du Staatsballett. Une syntaxe asexuée qui sait cependant charmer les foules à en croire l’applaudimètre… dont je ne faisais pas partie.

 

OÙ ET QUAND ?
Staatsoper Berlin, 4 mai 2019

Crédits Image de Une : Oval, Richard Siegal. Staatsballett Berlin © Yan Revazov

 

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