Ayelen Parolin en liberté

Dans le cadre du Next, festival transfrontalier et interdisciplinaire qui fête ses dix ans entre Nord de la France et Belgique, Ayelen Parolin présente deux pièces à l’espace Pasolini de Valenciennes. L’occasion de se frotter à son écriture vive et hors cadre.

Au programme du soir, deux solos. D’abord 25.06.76, date de naissance d’Ayelen Parolin, plongée autobiographique interprété par elle-même, puis La Esclava, écrit pour la danseuse Lisi Estaras. Soit deux femmes qui partagent un morceau d’identité, toutes deux argentines expatriées en Europe du nord, vivant à Bruxelles dans la capitale de la danse contemporaine. Deux personnalités bien trempées et révélées sur le plateau à la lumière du ton singulier de la chorégraphe.

25.06.76

L’écriture d’Ayelen Parolin est surprenante et avance pas à pas. Dans 25.06.76, la pénombre la découvre en équilibre sur la jambe gauche, tenant son pied droit dans ses mains, en train de compter sous une lumière crépusculaire. Plus tard, elle reprend cette séquence et nous explique : elle a quarante et un ans et démarre donc par ce chiffre. Sur un ton abrupt, elle livre des fragments de gestes. Trois pas de claquettes, un trémoussement d’épaules, elle égraine des souvenirs de danse ancrés dans son corps. Elle parcourt l’espace à grandes enjambées pour placer là un relevé qu’on image résidu de cours de classique, là un sourire forcé. Créé en 2004, le solo est mis à jour au fur et à mesure que la vie de son interprète évolue. L’âge, la maternité, le corps changeant, elle actualise cette « carte de présentation » comme elle l’appelle devant nous.

25.06.76, Ayelen Parolin © Karin Vermeire.

Peu à peu, elle prend la parole et éclaire quelques passages, en collant des mots sur les bouts de gestes. « Mathilde Monnier, Cour des Papes » lâche-t-elle après une envolée de mouvements fulgurants. Ailleurs, elle convulse nerveusement au sol dans une flaque d’eau, et commente : « Avant c’était à la mode dans un spectacle de danse contemporaine, maintenant c’est fini ». Les images s’adressent tant aux initiés qui peuvent rire et jouer à décoder les styles et codes chorégraphiques exposés, qu’à absolument tous lorsqu’elle nous parle de ses camarades de classe, de souvenirs d’enfance en Argentine ou des jobs nuls qu’elle a effectué par le passé.

Elle séquence, répète, recommence à zéro mais pas vraiment, reprend, esquisse puis précise. Un peu à la manière d’une peintre qui travaillerait sa toile par touches, la chorégraphe argentine compose son portrait peu à peu, laissant sciemment des trous ça et là sur le canevas. Elle dévoile par diffraction des images d’elles, créant une collision entre les humeurs et états passés et présents contenus dans cette femme de quarante et un ans, trente six ans de danse à son actif.

25.06.76, Ayelen Parolin © Karin Vermeire.

Et puis c’est drôle, et c’est assez rare pour être noté. Tout est affaire de jeu avec le public, qu’elle tient en activité. Vêtue d’un tee-shirt à palmiers et d’un short de sport bleu satiné la danseuse fait le pitre, s’aventure franchement du côté du grotesque, comme si elle claquait des doigts devant nos nez pour éveiller notre attention. Dans la franche auto-dérision, elle ausculte son corps de femme, de mère, d’épouse, d’artiste, de danseuse, de petite fille, de show-girl dans le désordre et nous renvoie en permanence à des injonctions, des clichés, des images à déconstruire et des imaginaires à détricoter. Comme lors de cette séquence où elle s’asphyxie quasiment à force de vouloir rentrer le ventre. L’absurdité de ce geste éclaire le coeur de 25.06.76, cette impossibilité et ce refus de pouvoir maîtriser, contenir et même définir un corps et une identité avec précision. Ce corps là a fait le choix d’embrasser le débordement.

Sans savoir à quel point la partition est improvisée, une grande liberté d’agencement donne un élan à l’ensemble. Ayelen Parolin bouscule par sa vivacité et une écriture qui ne se livre pas facilement, nous donnant du grain à moudre tout en nous incitant à rester sur le qui-vive, composant une danse dont elle nous demande d’être à la fois les relais, les dépositaires et les déchiffreurs.

La Esclava, Lisi Estaras, Cie Ayelen Parolin ©Thibault Grégoire.

La escalava

C’est d’abord une histoire de passation. Ayelen Parolin a rencontré Lisi Estaras au moment de lui transmettre son solo 25.06.76. De leurs échanges est née l’envie de prolonger le dialogue en se lançant dans l’écriture d’une pièce où les histoires de l’une rencontrent l’imaginaire de l’autre.

La personnalité de l’interprète est ici à nouveau la matière même de la danse. Travaillant par la contrainte, Lisi Estaras porte une immense structure en forme d’étoile hérissée d’épines sur son dos. Un fardeau, porter son identité comme on porte sa croix – ou son étoile ? Empêchée, la danseuse qui travaille entre autre depuis de nombreuses années chez les Ballets C de la B fait preuve d’une grande expressivité dans le visage, déroulant une danse expressionniste où les yeux sont engagés autant que le bout des doigts. On a affaire à une présence parfois burlesque, qui renvoie l’image d’une danseuse de cabaret époque années 1920, et parfois traversée d’angoisses et d’interrogations. Cette esclave en soutien gorge à paillettes doré nous partage un portrait déroutant, passant de la gêne à la peur, à la complicité, à l’avidité de vouloir entrer en contact. C’est un corps traversé d’influences et de souvenirs qui laisse imaginer une identité modelée par des couches de cultures, une sédimentation d’histoires, une vie.

Un corps proche de celui que l’on vient de voir précédemment, nourri de la même envie de remuer l’évidence. Lorsqu’elle prend la parole c’est à nouveau pour révéler des fragments, mais ils arrivent comme sur une pellicule montée par séquences hachées. Lisi Estaras délivre avec brio ces morceaux d’un puzzle qui restera mystérieux. Et lorsqu’elle joue avec notre participation – elle oblige pratiquement un spectateur à boire le maté qu’elle a préparé et dont elle indique le mode de dégustation – on touche au sujet qu’Ayelen Parolin creuse encore ici, qu’est-ce qui nous appartient, de quelles images est-on dépositaires, quels clichés charrie t-on malgré nous sur notre passage ?

La Esclava, Lisi Estaras, Cie Ayelen Parolin ©Thibault Grégoire.

Cette Esclava parvient in fine à lever le poids, se défaire de sa structure écrasante, mais pas pour se livrer à un morceau de bravoure dansé au nom de la liberté, rien n’est si simple chez Ayelen Parolin. Plutôt pour continuer sa danse à elle, drôle et simple, qui ne dénote pas avec ce qui précède. À quel point a t-on incorporé ou est-on maître de ce qui forge notre identité se demande t-on alors à la sortie, devant le monde d’Ayelen Parolin, qui aime flirter avec la caricature pour mieux s’attaquer aux paradoxes qui nous constituent.

Marie Pons

Où et quand ?

25.06.76 et La Esclava, Cie Ayelen Parolin, spectacles vus le 13 novembre 2017 à L’espace Pasolini, Valenciennes dans le cadre du NEXT festival.

Image de Une, visuel de 25.06.76, Ayelen Parolin © KarinVermeire.

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