Le temps du festival DansFabrik, Brest est devenu la capitale de la danse. Poésie urbaine, art chorégraphique à l’intense diversité, spectacles français, belges, kényans, allemands… le programme était chargé. C’est comme ça qu’on danse a choisi pour vous cinq oeuvres, à découvrir chaque jour sur notre site pendant une semaine.
Quand les lumières se rallument, chacun reprend son souffle. Certains parce qu’ils sortent enfin d’un cauchemar, noir et abrupt, où les a plongés un Aurélien Richard plus sombre que jamais. Le noeud de l’émotion brute se dénoue enfin; les poumons, libérés des notes de Stravinsky, troquent sensations contre respiration. D’autres reprennent leur souffle dans un râle exaspéré, on entend les mots « prétentieux« , « obscur« , « désagréable« .
Ils sont quatre. La couleur est un luxe qu’on leur refuse. Sur une ligne, leurs gestes se répondent, se rencontrent puis se désunissent. Les danseurs, avec leur litanie de gestes répétitifs, semblent passer un message -des signaux en morse, des codes pour corps en détresse- tandis que le spectateur sent la frustration grandir en lui. Aux accoudoirs, on voit des poings se serrer, des doigts se crisper.
L’incompréhension de certains et l’émotion des autres, règnent dans la salle depuis 1923. La coupable est la Russe Bronislava Nijinska, inspiré par les Noces de son compatriote compositeur, Igor Stravinsky. Aurélien Richard en a tiré 26 postures comme autant de lettres d’un alphabet-partition où les notes sont des bras levés, des mains plaquées contre les joues, des balafres au crayon noir. Les exégètes, ceux pour qui pas et danse riment avec postulats et sens, ont suivi/subi une conférence quelques heures avant la représentation; on leur a expliqué à coup de formules savantes les liens entre rythmique et arithmétique.
La plupart, pour cause de trains SNCF tardifs ou par horreur des maths, ont opté pour l’innocence. Mais les noces, avec leur terrible nuit, appellent à son sacrifice. Le tableau hypnotise: une danseuse court en cercles rapprochés, le souffle lourd, une autre devient momie de cellophane, un duo reste seul, amants aux aimants contraires. Vision cauchemardesque: un danseur cagoulé tire sur les nattes blondes d’un autre. Il faut respirer, mais c’est impossible.
Où est le sens? Le spectateur reçoit son inexistence comme autant d’affronts, acceptés par certains, haïs par d’autres. De quatuor, les danseurs sont devenus huit solos, puis deux quatuor. Crises de démence, courses à nouveau effrénées, signes toujours aussi fascinants, ballet anxiogène qui célèbre l’absurde et le trouble. La fin s’approche, la cage thoracique se comprime, la gorge se contracte. Et puis éclat de tendresse: de huit danseurs, ils acceptent enfin de devenir quatre duo. Les noces vont-elles enfin être célébrées?
Attendez. Le rideau se soulève. Apparaît, en talons aiguilles, maquillé en mariée cheap, à la robe transparente, un danseur. La salle rit surprise par ce trait de couleur, comme soulagée par ce message d’espoir. Ce n’en est pas un. On nous a trompés; ici, ce ne sont pas des noces qui sont célébrées, mais la désunion des êtres. Les notes d’Igor Stravinsky, les signes, que nous adressent les danseurs, résonnent comme autant de cris prémonitoires – ils ont tenté de nous prévenir, nous ne les avons pas cru. Chacun est seul. Il n’y a ni quatuor, ni duo. La solitude est notre seule épouse.
Noces/Quatuor, d’Aurélien Richard, présenté lors du festival de DansFabrik à Brest, sera au Centre National de la Danse du 3 au 5 avril