La vie est pleine de surprises et de belles opportunités, c’est un peu le hasard et aussi la mise en réseau qui a permis la rencontre en juin dernier de Théo Cardoso et de Leïla Fourez.
Le premier terminant son master 2 de conception sonore à l’Ensatt de Lyon cherchait en urgence, après défection, un partenaire dansant pour tester en situation ce qu’il avait mis au point lors de son cursus et passer son oral de fin d’études. Leïla Fourez, chorégraphe et danseuse de la compagnie Indicible a accepté de se prêter au jeu. Le jeune ingénieur et la danseuse se sont donc rencontrés 15 jours avant la soutenance de Théo mais n’ont véritablement eu que 5 jours de travail en commun pendant lesquels ils ont dû apprivoiser les univers de chacun ainsi que le dispositif mis au point par Théo. Entre ces journées, ils travaillaient chacun de leur côté, les modifications du programme nécessaires (sons, effets, etc.) après chaque répétition étant assez longues.
Après avoir vu la captation faite lors de la performance servant de démonstration pour la soutenance, il nous a semblé intéressant d’interroger les deux protagonistes sur leur expérience.
Théo cherchait un moyen pour faire interagir son et mouvement. Lui-même, contrebassiste, il voulait retrouver un rapport geste/son très physique, pour cela, il décide d’utiliser un détournement la Kinect. Ce périphérique conçu par Microsoft en 2008, qui permet de jouer grâce aux mouvements de son propre corps détectés par une caméra infrarouge sans passer par une manette de jeu, était à l’origine uniquement utilisable avec une Xbox (console de jeu de Microsoft). Des hackers ont créé un détournement qui permet d’utiliser la Kinect avec n’importe quel ordinateur, c’est ce détournement que Théo a utilisé pour programmer les assignations sonores de son choix.
Ici deux Kinects posées au sol scannent 19 points du corps de la danseuse que Théo récupère sous forme de données brutes qu’il assigne à des phénomènes sonores grâce au programme qu’il a conçu. Ces phénomènes sonores interactifs, ainsi que les sons auxquels ils s’appliquent sont pré-programmés, le jeune ingénieur pourra alors les choisir selon son inspiration, en direct, lors de la performance. Par exemple les mouvements d’un seul pied peuvent être assignés à une banque de 4 à 5 sons/effets différents. Il insiste sur le fait qu’il ne crée pas de sons mais que l’algorithme qu’il a conçu, les module en direct selon les gestes effectués par le partenaire danseur. Ainsi, selon l’ampleur, la vitesse, le déplacement du corps les sons vont être amplifiés ou modifiés. Théo dit : « les sons que j’ai choisis constituent la matière première et sont modulés, sculptés parla danseuse ». La performance de celle-ci s’inscrit dans une tension entre improvisation guidée par des contraintes fortes (espace contraint, impossibilité de passer au sol car les signaux sont brouillés, lenteur du mouvement, déplacement faible) et points de rencontre prévus.
Ces fortes contraintes ont amené danseuse et ingénieur son à explorer des domaines peu familiers. Cette richesse de l’expérimentation a séduit Leïla, qui s’engage volontiers dans des créations mêlant danse et musique live et qui était intéressée par le dispositif proposé par Théo. Elle explique comment, en très peu de temps, il a fallu s’adapter à certaines contraintes. Avant de commencer la performance le corps de la danseuse doit être scanné pour initialiser et synchroniser caméras et ordinateur, le sternum est le point de référence à partir duquel les autres points du corps seront repérés, si la distance entre ce point de référence et un autre point du corps devient trop grande les signaux se perdent, idem si ils se rapprochent trop, ils deviennent illisibles (indissociables) pour la caméra, Leïla s’est aussi rendue compte qu’il y avait des angles morts, zones où la caméra ne pouvait capter les signaux, elle a donc dû adapter sa position et ses déplacements en fonction. Ainsi les passages au sol s’avèrent impossibles pour l’instant puisqu’ils provoquent des points de silence (plus exactement la détection échoue)…
Le rapport à la vitesse est une autre contrainte qu’elle a dû intégrer…tout autant que Théo qui durant les 15 jours de leur travail préparatoire à la performance a modifié, peaufiné, transformé son programme au vu des nécessités et des demandes de la danseuse. Les deux s’accordent sur l’énorme travail d’écoute et d’échange qu’ils ont déployé lors de cette phase pour s’approprier les spécificités du domaine de l’autre. Un échange enrichissant puisque les limites rencontrées, ont été vécues pour chacun comme un cadre permettant, pour l’un, de repousser les limites du programme afin d’explorer une nouvelle écriture sonore interactive et pour l’autre de tester et d’explorer une nouvelle écriture chorégraphique. Il semble qu’un champ de possibles s’ouvre ici et cette première expérimentation réussie donne envie aux deux de poursuivre dans cette voie.
Interaction sonore from CARDOSO Théo on Vimeo.
Pour en savoir plus sur le travail de Leïla et la contacter c’est ici !
Si vous souhaiter contacter Théo c’est là : Theo1cardoso@gmail.com ou là : 06.08.99.28.07
Image de Une, visuel tiré de la captation de la performance faite par le 5 juillet 2018 à l’Ensatt de Lyon, instrument chorégraphique : Leïla Fourez, conception environnement sonore interactif : Théo Cardoso, scénographie : Jordan Vincent, captation vidéo : Marianne Joffre, crédits photo : Maxime Grimardias.