Il y a peu de temps étaient nommés à la tête du CCN de Grenoble Yoann Bourgeois et Rachid Ouramdane, en remplacement de Jean-Claude Gallotta directeur historique du CCNG, à sa tête depuis sa création en 1984. Le chorégraphe a accepté de nous répondre sur ce nouveau temps qui s’ouvre pour lui.
On a beaucoup parlé de votre départ du CCN mais vous restez un chorégraphe actif à la tête du Groupe Émile Dubois.
Oui, c’est un bon résumé. Nous n’avons jamais cessé d’exister en tant que Groupe Émile Dubois même si nous avons aussi portés d’autres chapeaux : celui de la maison de la culture où nous avons été artistes associés grâce à Lavaudant, ensuite nous sommes passés centre chorégraphique en 1984, j’ai même été un temps directeur de la maison de la culture mais le cœur qui nous guidait a toujours été le Groupe Émile Dubois. Aujourd’hui, la transition se fait par les projets déjà engagés avec la compagnie et le fait de quitter le CCNG a peu d’incidence sur la continuité artistique, c’est différent en ce qui concerne la gestion sociale de l’équipe où là nous manquons de visibilité et d’assurance sur l’avenir. Émile Dubois a commencé avant l’aventure du CCN et nous continuons puisque nous avons des projets pour les trois prochaines années. Cette continuité se fait par les tournées, My Rock, L’Étranger qui va prendre sa place à Paris et permettre aussi d’assurer la transition. La continuité se fait aussi à travers ce lieu de la MC2 puisque nous sommes artistes associés et que nous allons continuer à monter les mêmes escaliers et travailler dans les studios de la maison.
Quant à mon activité chorégraphique elle se déploie autour d’un spectacle pour septembre 2016 dont je n’ai pas encore le nom, tragédie ou comédie musicale avec Olivia Ruiz et ses musiciens. Nous avons eu une très belle rencontre avec elle sur une précédente création L’amour sorcier et nous nous étions jurés de faire quelque chose ensemble qui soit plus dans son univers musical, j’ai donc imaginé une histoire que Claude–Henri Buffard a reprise et que j’ai proposée à Olivia Ruiz, le mot reste à inventer pour cette forme. Comme disait Scorcese à propos des Chaussons rouges (Powell et Pressburger), il faut à la fois faire Broadway et avant-garde, ou disons Godart et Minelli… Ce qui m’intéresse ici c’est la rencontre entre deux formes et univers artistiques, ça reprend aussi ce que je voulais faire avec Bashung, ce n’est donc pas si éloigné de ma réflexion et de mon parcours d’artistes.
En 2017, je voudrais reprendre les Chroniques chorégraphiques et en 2018 pour les 50 ans de la maison de la Culture de Grenoble faire un travail avec Lavaudant qui serait une façon clin d’œil de boucler la boucle de l’association. À partir de là, je serai uniquement compagnie indépendante et je travaillerai sur projet mais ce pourra être n’importe où, là où nous trouverons un producteur.
Vous allez redevenir quelque peu nomade…
Oui, on peut imaginer un projet dans une ville de France, d’Europe ou d’ailleurs où je créerai de nouvelles Chroniques avec des professionnels, des amateurs et où j’engagerai tout un travail autour de la cité par exemple. Mais pour ce qui est des trois prochaines années, j’ai l’impression de rester non seulement dans une continuité artistique mais aussi dans une forme de mission notamment envers la compagnie, j’ai le sentiment de devoir aller au bout de cette histoire.
Envisagez-vous de vous re-frotter à d’autres champs artistiques comme le cinéma ou l’écriture ?
Peut-être, cela dit, je me suis bien simplifié, j’ai eu envie de toucher à tout. J’ai fait un peu de cinéma mais c’était difficile pour moi, ce n’est pas mon élément, autant cet un art que j’apprécie hautement en tant que spectateur me nourrit culturellement autant je n’ai pas le même rythme que celui qui est nécessaire à un tournage. Je me rappelle avoir eu des sueurs froides lorsqu’on tournait parce que l’attente me faisait perdre mon énergie et je ne comprenais pas comment faisaient les cinéastes pour garder la leur. L’écriture c’est un peu la même chose, ce n’est pas mon élément et avec le temps je préfère resserrer autour d’un acte, une personne seule sur une scène… Ensuite, cela va aussi dépendre de ce que l’on me propose.
Votre projet avec Olivia Ruiz ne va pas dans ce sens minimaliste, est-ce la coexistence de deux formes artistiques qui vous séduit ici ou l’essence de la comédie musicale à la West Side Story qui pourrait constituer une sorte de proximité avec votre univers ?
Mon plaisir dans ce projet, est de mixer danse contemporaine avec autre chose comme je l’ai déjà fait dans L’homme à tête de chou ou dans My Rock. Il y a aussi l’aspect populaire qui me plaît, accrocher l’avant-garde, c’est bien, mais comment retenir les autres, les jeunes en particulier qui ne partagent pas forcément la même culture. Il y a nécessité de réinventer des avant-gardes, on a parfois de la difficulté à se rendre compte combien elles sont absorbables et transmissibles. Franck Zappa disait : « je vois plein de jeunes qui jouent mieux que moi ce que je fais, comment ont-ils fait, où ont-ils appris ? » On ne peut pas refaire à l’identique, les lignes bougent et cela m’intéresse de trouver cette limite.
Comment trouver cette limite sans perdre votre propre identité de chorégraphe, comment dans ces formes mixtes pouvez-vous préserver votre signature chorégraphique ?
En fait, je ne peux pas faire autrement que faire ma pâte, c’est presque une protection malgré moi, ce qui compte c’est de dire ce que l’on a à dire avec son propre style même si il peut apparaître plus pauvre que celui d’un autre. Je ne cherche pas non plus à correspondre à l’univers de mes invités mais plutôt à m’affirmer dans ce que je sais faire. Dans le projet avec Olivia Ruiz, elle doit chanter et danser pendant une heure et demi, de façon intense, avec la présence de ses musiciens sur scène ce qui va créer une énergie particulière sur le plateau, mais ma danse est ce qu’elle est, un style, une entité et je la trempe un peu dans telle ou telle rencontre : ça peut être un lieu extérieur, des textes, de la musique rock, un univers visuel ou plastique. J’aime cette posture où je fais ce que je sais faire et où le spectacle naît de l’alchimie de la rencontre.
Vous avez une écriture chorégraphique très reconnaissable qui est votre signature et parallèlement le propos de vos pièces se resserre depuis quelques années. Comme un passage de l’épopée aux chroniques dansées, comme un déplacement d’un imaginaire collectif à un espace plus intime.
Oui, je déplace le curseur entre ses pôles et comme le public apprécie les deux, cela me permet de remonter des pièces de répertoire qui sont toujours bien accueillies. Il s’agit moins de reprises que de recréations et c’est une façon intéressante de faire vivre un répertoire. On me redemande Ulysse, Dr Labus, les Mammame, Trois Générations. Cette dernière pièce constitue sans doute le passage entre les grandes épopées et les pièces plus sociales, Trois générations, Des gens qui dansent ou les Chroniques comme si on passait de la fiction au documentaire.
Il me semble que vous êtes en train de fabriquer une nouvelle poétique, moins évidente mais plus sociétale avec vos dernières pièces.
Oui, je suis passé presque à mon insu du mythe au social, je tente aussi une approche différente avec L’Étranger, lorsque je lis le texte de Camus il y a une poétique qui préexiste mais qui s’inscrit aussi dans une histoire personnelle et un contexte collectif d’actualité. Il y a des sujets dont on s’empare parce qu’ils apparaissent comme inévitables à certains moments de nos parcours ou de nos vies et d’ailleurs c’est ainsi que l’on rejoint d’autres chorégraphes qui montent au même moment des versions différentes d’un même sujet. Le Sacre ou L’Étranger par exemple c’est aussi dire que certaines œuvres peuvent servir aux autres.
Le CCN passe entre d’autres mains mais Émile Dubois est dans un continuum créatif, on vous sent serein.
Je suis très content de ce qui se passe, les artistes qui arrivent sont merveilleux et je souhaitais cette collégialité. Il y a juste une sorte de contretemps, j’avais envie d’un peu plus de temps pour terminer ce que j’avais commencé et accueillir au mieux mes successeurs, faire une passation des équipes en douceur mais ce n’est pas forcément le timing des politiques.
Image de Une, My Rock, Jean-Claude Gallotta crédit photo Guy Delahaye.