Springforward 2016 à Pilsen – Chronique de festival

Capitale européenne de la culture en 2015, Pilsen en République Tchèque, est devenue le temps d’un long week-end, capitale européenne de la danse. C’est là que Springforward 2016 avait élu domicile pour présenter sa sélection de chorégraphes émergents européens.

Trois jours de danse intensifs, véritable marathon de spectacles, où solos (très nombreux) duos, pièces de groupes alternaient sans cesse du matin jusque tard le soir dans un format type de 40 minutes maximum.

Depo2015 - à Pilsen accueillait Springforward 2016
Depo2015, Pilsen accueillait Springforward 2016 en partenariat avec la plateforme de danse Tchèque Tranec Praha
The Green House à Depo2015 Pilsen - crédits: Michal Hančovský
The Green House à Depo2015 Pilsen – crédits: Michal Hančovský

Une épreuve pour les jeunes artistes se produisant devant un parterre de programmateurs, directeurs de salles et critiques européens. Une chance surtout d’être repéré, propulsé, et la promesse, peut être, d’une visibilité au sein d’un large réseau de diffusion en Europe.

Une épreuve, aussi, pour l’œil du spectateur, insatiable, parfois impitoyable observateur tentant de discerner dans la multitude créative, la perle de sa prochaine programmation, l’objet d’une future critique, ou simplement ce qui restera un beau souvenir de Pilsen.

Difficile dès lors de discerner dans l’émergence les œuvres ayant bénéficié d’une maturité affirmée, face aux propositions plus jeunes mais dont le potentiel est palpable. Au cours d’un échange avec les danseuses de la compagnie russe Vozdukh dance company qui présentait sa dernière création All that in can be, on apprend que leur compagnie évolue dans un écosystème presque dénué de danse, et que la présence du chorégraphe invité n’a été possible que durant 9 jours consécutifs.

"All that it can be" performed by Julia Blokhina, Ksenia Burmistrova & Liubov Perova de la Vozduck Dance Company (RU)
All that it can be performed by Julia Blokhina, Ksenia Burmistrova & Liubov Perova de la Vozduck Dance Company (RU)

Le temps de se rappeler que la réalité d’une création artistique est bien relative et que l’Europe, au delà de ses frontières physiques, contient encore des poches d’isolement.

Plusieurs centaines de personnes étaient en ébullition à Pilsen ce week-end là et, à l’origine de ces rencontres, le réseau Aerowave, crée par John Ashford, qui fêtait cette année ses 20 ans. A ce sujet vous pourrez lire l’interview de John Ashford ici.

20 de danse à travers l’Europe, 20 ans de découvertes de nouvelles générations de chorégraphes, de créations, de subversions, transgressions des codes, 20 ans, le temps pour l’Europe de rassembler 28 Etats membres (ou 27, on ne sait plus ces temps-ci !). Le temps aux artistes de commencer à circuler, à diffuser leur savoir, leur gestuelle, leur pratique au delà des frontières. Ce week-end, le réseau Aerowave parvenait à rassembler pour et par la danse, les cultures, contradictions, fractures d’une Europe mouvementée.

CollectivO CineticO (IT): 10 Miniballetti - crédits : Vojtěch Brtnický
CollectivO CineticO (IT): 10 Miniballetti – crédits : Vojtěch Brtnický

Comme l’an passé (lire notre article ici) CCCdanse était convié au festival au sein de la Springback Academy. On vous en parlait ici, l’initiative vise à donner la parole aux critiques de danse émergents, encadrés par des journalistes professionnels.

Micro, solo, macho

Pour autant qu’on puisse parler de tendances concernant un festival qui rassemble une sélection établie de pièces européennes sélectionnées par le prisme d’un jury composé de professionnels du réseau, on notera la présence toujours élevée, mais c’est un fait désormais en danse contemporaine, du solo.

Impératif économique, prédominance du moi, nécessité de se confronter à ce format pour trouver sa voie d’auteur, multiples raisons sans doute (voir à ce sujet la Table ronde organisée par Springforward sur le sujet, « Critical Issues » 24 avril 2016) l’individu seul l’emporte sur le groupe, au regret parfois du manque d’ensemble, vibrant en choeur sur scène.

De la nécessité de trouver sa « voix » d’auteur, on notera cette année son usage presque systématique dans de nombreuses pièces présentées.

Qu’elle vienne étayer le propos, présenter son auteur, nous parvienne par la ventriloquie ou soit amplifiée, la voix était définitivement le prolongement du corps des artistes Aerowave, et le micro sans doute leur outil préféré.

The WOMANhouse - Springforward tous droits réservés.
The WOMANhouse – Springforward tous droits réservés.

Micro fil, version karaoké, descendant des rampes, entouré de drapeaux, amplificateur, cassé, casque : le performeur d’aujourd’hui parle ou ne sera pas. Etonnante nécessité de donner à la parole et au langage autant d’autorité, sinon plus qu’à sa danse ? Besoin de se présenter, de se justifier, de questionner, au risque parfois d’alourdir le trait. Une chose est sûre la danse est une fois de plus à la frontière des genres, artistiques.

Et en parlant genre, ils semblaient plus que jamais présents au centre des préoccupations. Machisme, sexisme, féminité, masculinité, couple, la construction sociale du genre en question, vaste sujet que la danse sait plus que d’autres arts questionner avec véracité et violence aussi.

CCCdanse a choisi de vous parler de 4 œuvres, 4 must see qu’on espère vous aurez l’occasion de découvrir lors de leur passage en France ou si vous voyagez en Europe. Liste non exhaustive, il a fallu choisir parmi les nombreuses perles présentées, mais toutes les représentations sont passées en revue par les Springback writers : reviews à lire ici et disponibles en vidéo livestream ici.

Yasmine Hugonnet : la parole au corps.

Le Recital des postures -Photo: Anne- Laure Lechat
Yasmine Hugonnet, Le Recital des postures – Crédits : Anne- Laure Lechat

Première découverte du festival, et peut être la plus marquante, Yasmine Hugonnet. La chorégraphe suissesse présentait son solo, Le récital des Postures. Titre marquant et presque illustratif. Intriguant solo où le corps devient un simple et pur objet d’expression. Allongée au sol d’abord vêtue d’une tenue moulante, son corps va lentement et progressivement se transformer, se dénuder, muter littéralement, de formes, situations ou Postures à une autre sans transitions perceptibles.

Corps densifié, corps liquéfié, corps tonique, corps élastique, les qualités de mouvements déployées par Yasmine sont absolument superbes et suffisent à engager le spectateur 40 minutes durant dans sa logorrhée posturale, nue sur scène dans le silence. Car Yasmine revient ici à l’essentiel, le corps et son espace – temps. Pas d’ornement ni d’emphase, Yasmine prend le risque du mouvement pur pour développer un langage bien singulier et trouver une justesse, un travail dont on devine la grande profondeur et maturité.

Parler son corps pour incarner des figures, des images qui nous parviennent en masse – pêle-mêle, on y a vu des flaques d’eau, un cétacé, une mannequin, un dictateur, un vieil homme – parler son corps jusqu’à céder la place à la voix. Mais pas n’importe laquelle, celle qui vient du ventre, la ventriloquie, à laquelle Yasmine s’adonne sans réserve, délivrant en final un « récital », mutant on vous le disait.

The WOMANhouse de Andreas Constantinou (Himherandit Productions)

The WOMANhouse par Himherandit productions - tous droits réservés
The WOMANhouse par Himherandit productions – crédits : Vojtěch Brtnický

Un carré au sol bordé de blanc, quatre hommes cheveux longs et moustaches s’engagent vigoureusement sur scène. Le carré devient ring. S’adressant au public par des cris de ralliement, luttant dans une série de gestes empruntés à mortal kombat, vociférant au micro bruitages de voitures et bagarres, démonstration de stéréotypes du mec, viril, violent, moustachus, voix graves, attitudes négligés : le cliché est presque parfait.

Le temps de sourire et de se demander où Andreas Constantinou veut nous emmener avec sa parodie du macho. Le temps de se demander à quoi rime le soliloque absurde d’un des performers à la voix grave sur les incertitudes de son nom épicène, est-ce Alex, ou Alex ?

Le temps de se questionner sur qui sont ces quatre créatures à la gestuelle trempée d’une physicalité athlétique et nerveuse. Peu à peu le voile se lève, une voix plus fluette se fait entendre et Nirvana nous saute à la gorge : it smells like teen spirit. Le solo d’un performeur se termine. La rock and roll star délivre une poitrine de femme, nue. Seins délivrés, mais cheveux longs et moustaches toujours présents, elle nargue le public en crachant par terre. L’image de ces femmes insoupçonnées nous saisit, le macho devient Femen. C’est une, puis deux, puis trois puis quatre la dernière, Miryam Garcia Mariblanca qui livre un solo final d’une rare beauté, totalement nue, la danseuse au crâne rasé et au corps athlétique défie le genre, nous livrant une sorte de version dansée, presque exorcisée du Ecce Homo, voici l’Homme, voici l’être que je suis.

Au cœur de la WomanHouse : la construction sociale des genres. Une question toujours brûlante d’actualité, toujours aussi universelle, et qui méritait qu’on s’y consacre par le corps.

Pour en savoir plus, voir une interview des interprètes ici.

Striptease de Pere faura

Pere Faura dans Striptease - crédits: Michal Hančovský
Pere Faura dans Striptease – crédits: Michal Hančovský

Si vous pensiez ne jamais rire à un spectacle de danse contemporaine, c’est que vous n’aviez pas encore rencontré Pere Faura.

Pere Faura est un clown, ni plus ni moins, et Striptease est un one man show. Petit chippendale à la veste mal ajustée, la cravate pas centrée, le short taillé court et le chapeau trop grand, Pere se livre à un exercice de strip maladroit, grotesque et risible. Quelques ralentis sur les passages clés d’une danse langoureusement décalée, et à intervalle régulier un déplacement de caméra sur trépied, toujours orientée vers le public.

Cinq minutes plus tard, le show est terminé, Pere quitte la scène. Il revient et fait ses aveux, délicieusement honteux, au public : ce spectacle crée à l’origine pour une commande de festival doit son titre uniquement au fait que « au moins cela attirerait plus de monde». L’aveu se poursuit, malgré une documentation attentive sur le sujet, le résultat de ses recherches n’a produit que ce premier solo, regrettablement trop court pour le théâtre – bien que respectant les 3 minutes d’un striptease, précise-t-il ! Pere s’engage alors dans une conférence/réflexion dansée sur le striptease.

Pere Faura (ES): Striptease crédits : Vojtěch Brtnický
Pere Faura (ES): Striptease
crédits : Vojtěch Brtnický

Dans une débauche de théâtralité, adoptant la posture du conférencier savant-fou au monologue hyper calé, rythmant le rire comme seuls les showmen ont le secret, on y apprend que le striptease est une « construction artificielle d’érotisme », on y fait des ellipses par le courant post-moderniste, donnant lieu à une savoureuse imitation dansée (tous les amateurs de danse sauront apprécier). Pere mime, imite, joue, danse avec Demi Moore en vidéo, et interprète chaque mot physiquement, sautillant de degrés en degrés de réflexions, la salle est entièrement avec lui.

Mais au delà du clownesque, Pere, par un tour de force, parvient à philosopher sur le concept même du spectacle. Le striptease et le théâtre sont ils si éloignés ? Le spectaculaire tant attendu au théâtre ne titille-il pas tout autant le désir et l’intrusif regard du spectateur de striptease. Questionnant ainsi notre rapport au spectacle, le twist final de sa pièce est exquis, on ne vous en dit pas plus.

Douglas de Robbie Synge

Robbie Synge (UK) - Douglas - crédits : Vojtěch Brtnický
Robbie Synge (UK) – Douglas – crédits : Vojtěch Brtnický

Des usines froides et désaffectées, Pilsen semblait en avoir de nombreuses. Celle dans laquelle Douglas était présenté aurait pu être conçue pour cette performance.

A l’étage quelques gradins sommaires, et devant nous un vaste espace poussiéreux, quelques poteaux éraflés, un sol de béton, des fenêtres opacifiées par la crasse. C’est là qu’on a découvert un des bijoux du festival. Sans dorure, ni artifice, il s’est révélé dans sa plus belle brutalité.

Douglas, c’est le solo d’un homme confronté à ses propres limites. Entouré d’objets banals, un large tuyau de caoutchouc, des chaises en bois, des cordes, un tapis de sol, quelques projecteurs, Douglas (le danseur Robbie Synge) tente de donner du sens à ce qui l’entoure. Il les organise entre eux, sans logique apparente, il fabrique des constructions hasardeuses, crée du lien, des tensions, des équilibres entre chaque élément.

Robbie Synge (UK)- Douglas  crédits : Vojtěch Brtnický
Robbie Synge (UK)- Douglas crédits : Vojtěch Brtnický

Mais sans cesse ses entreprises vont s’avérer échec : l’équilibre va lâcher, la suspension basculer, la balance tomber, le fil casser pour venir rompre ce fragile équilibre des choses. Presque par magie la réalité de la physique le rattrape, la corde casse entraînant dans son tragique effondrement tout le reste, le montage saugrenu ayant suscité tant d’attention est réduit à néant.

Dans cet environnement brut et froid, de tentatives en tentatives, Douglas essaie, s’épuise, rattache, rassemble, s’affaire sur ces objets sans vie dans une grande physicalité, qui, face à un inexorable échec révèle la vulnérabilité de son être.

Toute son humanité se livre ainsi : lutter pour vivre, trouver un sens, être maître de son environnement et se laisser à chaque fois rattraper par la « force » des choses. Tout cela Douglas le questionne avec beaucoup d’originalité. En créant cet univers singulier où l’homme et l’objet dialogue, où les choses s’attachent artificiellement les unes aux autres, ou l’homme tente de fusionner avec l’objet mais ou l’objet devient lui même presque humain, Douglas montre l’absurdité de l’existence. Une performance tragi-comique – soulignée habilement par un sound designer, David Maxwell, qui l’accompagne, médusé, dans cette aventure sonore et fracassante – une performance terriblement touchante.

Aller plus loin …

Voir ou revoir toutes les performances filmées en streaming live :

http://aerowaves.org/springforward/stream

Devenir artiste Aerowave. C’est le moment de candidater pour faire partie des artistes 2017.

En savoir plus sur les artistes:

Yasmine Hugonnet – Janvier 12-17 2017 – Théâtre de la Cité Internationale – Paris 

WOMANhouse par Himherandit productions

Pere Faura

Robbie Synge – 29 septembre 2016 à La Briqueterie, Vitry sur Seine

 

Pour faire partie de la SpringBack Academy 

Lire notre interview de John Ashford, directeur d’Aerowave.

Image de Une : Marco d’Agostin (IT) « Everything is ok » Aerowave tous droits réservés.

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