Échanger avec Pierre Pontvianne sur son travail, est toujours un moment important. Il s’agit moins de discuter autour de la nouvelle œuvre créée que de partager de la matière. Une sorte de moment privilégié d’écoute mutuelle autour d’une pensée complexe, foisonnante et pourtant parfaitement dirigée. Pierre Pontvianne, depuis que je connais son travail, est animé par cette force intranquille (car toujours en questionnement) qui lui permet pourtant de rester cohérent dans son parcours d’artiste.
Réflexion exigeante sur la place de l’auteur, du créateur dans une époque où l’accès aux informations se trouve dématérialisé, rendu immédiat, où la réception des œuvres et la rencontre avec les chorégraphes se produit parfois plus à travers les outils de promotion vidéo que dans la réalité … dans ce contexte, où est la place de l’art vivant ?
Pour le chorégraphe, (et nous partageons son point de vue), les œuvres existent dans l’expérience vécue par les interprètes, dans le regard du public, puis par la parole, la pensée ou le débat produits autour de la pièce après cette expérience unique du vivant qui se déroule sous nos yeux en un instant T. Il est donc important d’adresser la pièce au public, de lui donner envie de venir. C’est pourquoi le chorégraphe choisit avec soin et parcimonie ses supports de diffusion, incitant toujours à la curiosité autour de la pièce à découvrir, afin de protéger la rencontre avec l’œuvre.
En parlant de son travail, on comprend au fil de l’échange que ce qui se dit ici, est la matière même de l’œuvre qui se tisse et se déploie dans la parole du chorégraphe. Qu’il s’agisse des pièces précédentes ou de œ, la nouvelle création de la compagnie, Pierre Pontvianne avec une forme d’apaisement avoue que son processus de création est toujours issu des mêmes sources : l’intime, l’actualité, une intuition, … quelque chose qui résonne dans l’instant, qu’il n’explique pas forcément, et qu’il va explorer avec ses interprètes et son équipe de création. Une façon de travailler rendue possible par l’étroit compagnonnage qui existe dans la compagnie, fait de confiance et de respect mutuels.
Pour œ Pierre nous invite à regarder la pièce comme un souvenir, un souvenir qui tente de se reformuler, un thème et ses innombrables variations qui cette fois s’inscrivent au cœur de ce que la mémoire des danseurs va retenir. Montrer le déroulé temporel d’une même chose qui s’épure en fonction de ce que les interprètes retiennent. Le chorégraphe parle d’un chemin à traverser avec une certaine liberté, de laisser au corps le droit d’être en réaction, de composer dans l’instant à partir d’un commun dont on partage les informations.
Trouver dans la danse cet endroit d’équilibre entre perte et récupération, le visuel choisi par le chorégraphe pour œ, illustre parfaitement cela, cette main sur l’épaule qu’il qualifie de geste double, empêchement ou entraide, interdépendance assumée entre les interprètes qui doivent se raccorder d’une façon ou d’une autre, adoptant des tactiques de survie et d’émancipation dans une écriture radicale. Comme toujours chez Pierre Pontvianne, la virtuosité et le spectaculaire résident dans la sincérité et l’engagement des corps au plateau.
Pièce soutenue par une fresque sonore lointaine, rythmée par des noirs provoquant des ellipses temporelles ou visuelles, œ comme son titre le laisse entendre joue sur la porosité des choses, celle de la mémoire qui se sédimente en strates, se fissure en failles, se glisse dans les interstices ou ouvre de nouveaux espaces d’interprétation.
œ, pourrait se voir comme un enchaînement d’incomplétudes, comme la nécessité de s’accepter, comme une caisse de résonance du monde, comme la lutte contre une perte irrémédiable, comme les ajustements incessants que nos vies nécessitent…là encore le chorégraphe nous invite à dé-polariser, à accepter que comprendre ou ressentir une œuvre peuvent co-exister…ou non, que l’art provoque des choses et pas forcément des explications.
œ
Chorégraphie Pierre Pontvianne. Interprétation Jazz Barbé, Laura Frigato, Thomas Fontaine, Paul Girard, Florence Girardon, Clément Olivier, Léna Pinon-Lang. Conception sonore, costume Pierre Pontvianne. Lumière Victor Mandin. Décor Pierre Treille. Production Compagnie PARC. Coproduction Atelier de Paris / CDCN, Coproduction La Comédie de Saint – Étienne – CDN, Festival Montpellier Danse, Opéra de Lille, avec le soutien du CCN • Ballet de l’Opéra national du Rhin – accueil studio 2023.
Où et quand ?
œ 6, 7 et 8 février 2024, Comédie de Saint -Étienne – CDN FR
œ matière et film JOTR / Journée danse et film / Le Dôme Théâtre d’Albertville FR
œ 7 et 8 juin 2024 / Au Grand Sud / Festival Latitudes Contemporaines en co- accueil avec L’Opéra de Lille
Image de Une, visuel de œ, Pierre Pontvianne, compagnie PARC tous droits réservés.