Obama, la danse, la présidence: la synthèse parfaite

Le corps et le langage du corps sont des éléments incontournables dans l’élection présidentielle américaine. Toujours grands, souvent beaux, les présidents américains se doivent d’incarner la virilité américaine.

Seule exception: Franklin Delano Roosevelt, à la Maison Blanche de 1933 à 1945. En fauteuil roulant à cause d’une grave maladie, il réussissait pourtant à se montrer debout et transcendait son handicap en insufflant de la virilité à ses discours. L’historien Thomas Snegaroff en a fait le sujet de son livre, L’Amérique dans la peau, quand le président fait corps avec la nation)

Mais revenons en 2012, année électorale aux Etats-Unis. Jamais le corps politique n’est autant observé que lorsqu’il devient mouvement et musique. Maintenant, un candidat, et a fortiori un président, doit aussi savoir danser ! L’équipe de campagne des candidats à la présidentielle a donc délaissé les discours au profit des talk shows et des vidéos YouTube qui se propagent de manière virale sur Facebook et Twitter, sur des écrans qui se multiplient – une véritable dance battle commence.

Et c’est Barack Obama qui ouvre le feu. En 2007, il est sénateur, candidat aux primaires. Ellen DeGeneres l’invite dans son show très célèbre aux Etats-Unis, où il apparaît en exécutant quelques pas de danse, d’un cool absolu, avant d’enchaîner sur quelques petits coups de poing dignes de Mohammed Ali au meilleur de sa forme. La vidéo se répand comme une trainée de poudre sur les réseaux sociaux. Opération réussie pour Barack Obama.


Car la danse permet à la politique de devenir séduction. Exemples bien connus, les nombreux galas ou soirées de fundraising auxquels tout candidat (ou président) se doit d’assister, sont aussi l’occasion pour lui de montrer ses talents de danseurs.

Danser permet au candidat d’enrober sa rhétorique dans un emballage de fausse spontanéité, de quasi innocence. Ainsi, comment ne pas laisser tomber toutes ses barrières politiques devant la fraîcheur de Barack Obama, qui, dans son plus bel habit de gala lors du bal de l’inauguration (cette fois en 2009) danse avec son épouse Michelle?

La tradition veut que chaque First Lady fasse don de sa robe à la collection du Musée National de l’histoire américaine à Washington. La tradition veut aussi que la robe soit exceptionnelle…

Mais le corps politique, quand il est en mouvement, ne s’arrête pas à la danse. Obama est l’un des présidents qui a le plus mis en scène son corps:

jouant au basket

faisant des pompes

(mais c’est lorsqu’il danse qu’il séduit le plus CCCD)

C’est en 2009 que la danse a fait son entrée officielle à la Maison Blanche. Premier Chief of Staff de Barack Obama et aujourd’hui maire de Chicago, Rahm Emanuel est le premier danseur de ballet de l’histoire à avoir occupé ce poste.

Depuis 20 ans (il a également joué un rôle auprès du président Clinton), ce tough guy de la politique américaine, concilie la danse classique à l’image de virilité typique de la politique de Chicago. W. Bush le croisant un jour dans les couloirs du pouvoir, au début des années 1990, l’avait complimenté sur sa grande forme physique et interrogé sur ses activités. La réponse de l’intéressé: « Je fais de la danse classique« , avait rendu W.  complètement muet.

Jeune, très sportif (lui et sa femme font une heure de sport tous les jours, même s’il faut se lever à 4h30 !), Barack Obama est aussi le premier African American à la Maison Blanche. Et cela a représenté pour lui quelques challenges particuliers: il se devait à tout prix d’éviter d’incarner un cliché de Noir américain, forcément menaçant pour les Blancs du Sud notamment (Jesse Jackson, le premier candidat noir à la présidence, était aussi un grand militant pour les droits civiques, et était donc perçu dans les années 1980 comme le « candidat des Noirs »). Or, avoir le sens du rythme est l’un de ces clichés associés aux Afro-Américains.

Mais n’étant pas descendant d’esclave (son père était Kenyan et sa mère blanche), il a aussi dû construire son identité de Noir américain, en faisant sienne l’histoire des droits civiques, et en épousant une « vraie » Afro-Américaine, Michelle Robinson.

Barack Obama n’est pas musicien comme l’était Bill Clinton (celui que Toni Morrison avait appelé le « premier président noir de l’histoire »), mais il a bien le sens du rythme. Ses goûts musicaux embrassent toute l’histoire musicale américaine et l’héritage afro-américain (jazz, blues, hip-hop, Rap, American Gangster…) de Louis Armstrong à Jay-Z, en passant par Marvin Gaye et Stevie Wonder. Cette synthèse parfaite est tout à fait caractérique d’Obama :

–       Il est un homme de son temps , il est COOL, a de l’humour et n’est pas un uppity nigger (un « faux re-noi ») arrogant qui aurait trahi sa race.

–       Il est aussi le candidat (puis président) sérieux qui incarne toute l’Amérique, donc il condamne la misogynie et la violence des gangsta rappers. Il aime la tradition, les artistes old school que sont les grands du jazz et du rock du 20ème siècle, largement devenus mainstream.

Ses prestations de danseur sont à l’image de ses goûts musicaux, la synthèse parfaite du présidentiable. Lui et ses semblables dansent tout: le robot, quelques déhanchements sur du hip hop, quelques démonstrations de force brute (des pompes en public pour mettre tout le monde d’accord) et de la danse de salon lors des bals et galas à la Maison Blanche ou ailleurs.

Obama, l’époux fidèle, est le garant de la tradition et des valeurs familiales chères à l’Amérique. Cette synthèse parfaite est le reflet de l’identité riche et complexe de rassembleur qu’Obama a construite.

Elle est aussi rendue possible par un corps tout à fait remarquable: jamais l’Amérique n’avait eu un président si félin, souple, mince et puissant à la fois. Reagan était physiquement maladroit (bien qu’ancien maître nageur), Bush père était très raide, Clinton avait un embonpoint que les jogging ne suffisaient pas à atténuer (seul un régime strictement vegan y sera parvenu) et Bush fils, certes sportif, n’avait ni souplesse ni minceur. Obama est donc bien le premier président danseur…

Laetitia Vitaud, auteure du blog Vers la Maison Blanche

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