Le Voguing : contre culture urbaine ou culture mainstream ?
Le Ballroom est ma scène, j’y prends la pose mais pas n’importe laquelle ! Je vogue pour ma maison et j’affronte lors de battles d’autres maisons concurrentes, tout cela au milieu d’un déferlement de paillettes, d’accessoires, lors de défilées chorégraphiés où l’on juge autant mon apparence que mes capacités physiques de danseur… je veux être reconnu, j’assume ma différence, je suis « transgenre », je suis une reine, je suis un vogueur… j’embrase les nuit parisiennes !
De l’affirmation gay à la récupération pop
Le Voguing apparaît aux États-Unis dans les années 30, et s’affirme dans les années 60 au sein de la communauté gay afro-américaine et latino voire parmi les prisonniers de Rikers Island avant de gagner New-York puis de se déplacer plus récemment à Miami ou Atlanta, traverser l’Atlantique et se propager sur le vieux continent.
Forme dansée appartenant à la contre culture urbaine des exclus, qu’ils soient prisonniers, issus de minorités ethniques et/ou des catégories pauvres de la population, le Voguing exprime un besoin de reconnaissance en récupérant la gestuelle des icones sur papier glacé des magazines people tel que Vogue. Gestuelle hyperstylisée, les vogueurs balancent entre poses glam-suggestives, mouvements extrêmement rapides des bras avant d’engager le corps tout entier dans des déhanchés osés et des figures gymniques ou issues des danses urbaines.
L’univers du Voguing est suffisamment épais et intrigant pour que journalistes, écrivains et photographes s’y intéressent et sortent ce mouvement méconnu de sa semi clandestinité. Pas facile de trouver une place dans une culture Hip Hop où l’hyper virilité est à l’honneur. En 2011 sort Voguing and the ballroom scene of New York 1989-92 de la photographe Chantal Regnault, qui livre des portraits extraordinaires et donne l’ambiance des soirées survoltées des ballrooms de l’époque.
L’année suivante Strike a pose, Histoire(s) du voguing l’ouvrage de Tiphaine Bressin, et Jérémy Patinier retrace l’histoire de ce mouvement, et s’intéresse au rôle social qu’il exerce dans les communautés gays et ethniques aux États-Unis. En janvier 2013, l’article de Philippe Noisette paru dans les Inrocks, revient sur le phénomène Voguing et à travers des interviews du vogueur Javier Ninja et du chorégraphe Doug Elkins, annonce sa présence lors de Suresnes Cités Danse. On y apprend, entre autre, le rôle des balls, ces soirées ou l’on s’affronte au nom de la maison que l’on s’est choisi : Javier Ninja a choisi la maison Ninja (en l’honneur de Willi Ninja danseur iconique des années 90, décédé en 2006, rendu célèbre notamment par le clip Deep in vogue de Malcolm Mc Laren ou par celui de Doug Elkins Scott, Queen of Mary de 1993), d’autres ont choisi de se référer aux maisons emblématiques de la mode comme Octavia St Laurent ou à un style qui peut les caractériser Angie et José Xtravaganza.
Deep in Vogue de Malcolm Mac Laren avec Willi Ninja.
Ainsi il existe une certaine dérive d’un mouvement de contreculture urbaine et underground vers une forme happée par l’industrie du showbusiness et récupérée pour revivifier les chorégraphies des icones de la pop. Madonna ne s’y est pas trompée et popularise le voguing dès 1990 avec son clip réalisé par David Fincher, tout simplement appelé Vogue. D’autres stars ont suivi, Beyoncé (personnage de Sasha Fierce et certains clips comme Single Lady) ou Lady Gaga dont les costumes de scène sont très inspirés des tenues extravagantes des vogueurs, que Beth Ditto convoquent à son tour dans I wrote the book.
Vogue de Madonna
Façon d’être ou tendance à la mode ?
Clairement une façon d’être, totalement assumée par certains vogueurs qui ne cherchent pas seulement à stariser leur image mais à exister dans leur différence exhibée. « Dis-moi comment tu vogues, je te dirais qui tu es ! » C’est ce que revendique Javier Ninja qui, dans l’interview donné à Philippe Noisette, s’exprime ainsi : «N’oubliez jamais que votre corps c’est votre scène ».
Extrait de Paris is Burning de Jennie Livingston
Le Voguing est l’expression profonde de communautés en souffrance et en mal de reconnaissance comme le montrent avec force plusieurs documentaires : Paris is burning, de Jennie Livingston sorti en 1990 et devenu culte, How Do I look de Wolfgang Busch réalisé en 2006 et largement primé, lui aussi, ou plus récemment Check your body at the door produit par Sally Sommer en 2011, nouvel hommage à ces danseurs particuliers.
Bande annonce de How do I look de Wolfgang Busch
Voguer à Paris
Pour d’autres, l’enjeu est autre et il s’agit davantage d’assister ou de participer à une soirée. Il faut cependant s’y préparer et pour cela on peut avoir recours à des professionnels comme Ylva Falk, reine de certaines soirées parisiennes qui au sein du collectif House of Drama, propose animation, performance voire Classdance de Voguing pour embraser les dancefloors.
Ainsi, le Voguing parisien a ses propres représentants : Stéphane Mizrahi, Lasseindra Ninja ou Youval parmi les plus connus. Youval, issu de la scène Hip Hop (Division Alpha), propose des stages de voguing et des tutoriels sur internet, il est un des principaux organisateurs des grandes manifestations de battles de danses urbaines comme Vertifight.
Stéphane Mizrahi et Lasseindra Ninja
Le Voguing a aussi ses lieux : la Java 105 rue du Faubourg du Temple dans le 10e, le Social club 142, rue Montmartre dans le 2e ou La Grande Halle de la Villette qui pour la première édition de H flow elec, samedi 1er juin propose un Dance Contest, « No Fake, No Rules, Just Real » de 17h-20h : série de Battles inspirées librement des Ball Rooms du mouvement Voguing. Défilé de mode urbaine et showcase de 20h-22h : véritable show où danseurs et modèles mettent en scène la collection de jeunes créateurs. Suivi par un Dance floor de 22h-01h du matin. Renseignements et réservations sur infoligne : 08 99 18 28 75
Attention, dernière minute (31 mai 2013) : annulation de la soirée H flow elec du 1er juin si vous avez déjà pris vos billets rappeler l’infoligne : 08 99 18 28 75
Pour en savoir plus sur le phénomène Voguing : le petit film d’Arte qui raconte son histoire ou le reportage d’Entrée libre que France 5 lui a consacré.
Image de Une : The world of super heroes ball organisé par François Chaignaud et Cécilia Bengolea à la Ménagerie de verre en 2012, crédit photo Christian Poulot, site Le Modalogue.