Florence Loison vous êtes, chorégraphe, danseuse et à l’initiative du collectif Zutano Bazar, d’où vient l’idée d’une plateforme pluridisciplinaire autour du geste, quel sens cela a-t-il pour vous en tant que danseuse chorégraphe puisqu’il s’agit d’un projet plus grand que la danse ?
Cette idée vient de mon parcours de totale autodidacte, je ne suis passée par aucune école de danse mais j’ai été happée par la danse au moment de l’adolescence à travers des rencontres culturelles liées à des populations originaires d’Afrique. Par ailleurs, je suis issue d’une famille de musiciens amateurs de bon niveau et passionnés de leur art et j’ai un père plasticien, j’ai donc baigné dans un environnement artistique multiple même si la danse est mon impulsion première. Cependant la danse a toujours été vécue comme liée à d’autres champs artistiques notamment la musique et les arts visuels. Ce lien s’est renforcé à travers ma pratique des danses d’Afrique qui s’apprennent à travers la transmission orale et la compréhension du rythme musical.
Ce rapport danse/musique est devenu un de mes principes de création, j’ai toujours travaillé avec des musiciens en live et je pratique moi-même le chant donc ce lien s’impose de lui-même comme une évidence. Par ailleurs la création de Zutano Bazar en 2005 correspond à la rencontre de deux familles artistiques différentes dont l’aspect pluridisciplinaire de plateforme autour du geste sera réaffirmé en 2011. Parmi ces artistes, outre la danse et la musique certains viennent des arts visuels comme Jeremy Justice ou le beat boxer Ezra qui m’a fait découvrir les arts numériques et le designer corporel Antoine Berr. Ainsi l’idée d’une plateforme répondait à un désir de travailler ensemble sans identification d’un leader particulier et d’initier des rencontres artistiques entre différents champs disciplinaires, ce tissage s’enrichit au fil des rencontres. De ce fait la compagnie Zutano Bazar s’est constituée de façon à pouvoir accueillir, soutenir, partager, différents projets artistiques dont je ne suis pas forcément à l’origine mais que j’ai envie d’accompagner dès lors qu’ils sont en cohérence avec notre propos artistique et que je les trouve intéressants.
Est-ce dans ce cadre que vous soutenez les artistes-activistes politiques du Labofii (laboratoire d’imagination insurectionnelle) ?
Oui, c’est sans doute ma façon d’assumer ma part très politique mais c’est surtout une très belle rencontre artistique avec John Jordan et Isabelle Frémeaux, lui, est un performer au parcours très riche et habité par des questions écologiques et politiques profondes, elle, est une chercheuse en sciences sociales et politiques et le Labofii s’est créé sur leur constat que d’un côté il existe des militants peu créatifs et de l’autre les artistes qui sont d’incroyables créateurs mais peu engagés. Leur travail résonne beaucoup chez moi notamment à travers l’engagement sur le territoire et on se suit depuis un moment même de loin puisqu’ils se manifestent surtout à l’étranger et sont beaucoup plus actifs sur un réseau européen et international que sur le territoire français où on les connaît moins. De ce point de vue Zutano Bazar a été une structure porteuse pour leur projet, de même on a soutenu celui de Denis Monjanel Le chant si beau des femmes-oiseaux qui tourne actuellement ou encore Laureline Richard qu’on aide aussi. Zutano Bazar c’est une compagnie au sens fort de compagnonnage.
Comment s’articule votre volonté de créer un lieu de résidences d’artistes dans un territoire rural avec votre désir actif de développer des actions qui circulent à la fois géographiquement et entre champs artistiques différents ?
Je me suis installée en Sarthe parce que j’y suis née mais pendant longtemps mon cœur était ailleurs notamment en Afrique où j’ai pensé m’installer à un moment donné d’autant qu’il était plus facile pour moi de trouver une date à Ouagadougou ou à Kinshasa qu’à Nantes, au Mans ou à Angers, pendant un temps ma danse était mieux reçue là-bas qu’ici. Je suis aussi arrivée dans un contexte où les subventions commençaient à manquer. Cette situation m’a conduit à tout de suite m’engager dans un processus de mutualisation, à la fois par nécessité, et culture, je suis une enfant de l’éducation populaire donc du partage et aussi une génération issue du Do it yourself donc la mutualisation des outils, du matériel, des lieux, tombe sous le sens. Après 10 ans de combat pour trouver des lieux où travailler, la question d’un lieu privé personnel où je puisse me poser s’est imposé comme une solution. J’ai choisi de m’installer en zone rurale parce que financièrement c’était la possibilité d’acquérir non seulement un lieu de vie mais aussi de travail et de résidence d’artistes à terme et de sortir d’une forme de dépendance vis-à-vis des institutions publiques qui mettent en péril la pérennité de projets artistiques. Les dernières élections montrent combien la culture et l’art deviennent des variables d’ajustement du service public et nombre d’artistes sont confrontés à des coupes budgétaires brutales, du local au national. Il y a aussi des communes qui prennent conscience de l’importance de l’accès à l’art et se réengagent, au contraire. On vient de signer une convention avec la commune de Château-du-Loir (5000 habitants) en Sud-Sarthe pour trois ans et ce signe est encourageant pour continuer de s’engager. L’idée c’est aussi de rééquilibrer le territoire et de m’appuyer sur les structures culturelles existantes afin de mettre en place une synergie autour de l’art et de la culture pour faire circuler les œuvres et les publics. Zutano Bazar est reconnu pour ses capacités de circulation sur le territoire sarthois.
Parlez-nous de votre dernière création Puisque je suis courbe, s’agit-il d’une pièce « autobiographique » ou d’un questionnement plus universel sur l’image de la femme dans nos sociétés et/ou de la place donnée ou assignée au corps féminin, ou peut-être aux limites de ce corps ?
Le point de départ de Puisque je suis courbe, est la volonté de faire un scanner d’où j’en suis aujourd’hui en tant que femme et danseuse. Désir de solo d’abord, sauf que je ne voulais pas traverser cette question de la féminité et de ses perceptions seule. Très vite est apparue la nécessité de me confronter aux hommes sur cette question-là, de leur présence au plateau avec moi et de ce qu’on pouvait défendre ou traverser ensemble. Je voulais aussi le faire avec des hommes très différents d’où le choix d’Antoine, 25 ans designer parisien et Denis plus de 50 ans musicien, physiques opposés et je savais aussi qu’en posant la question de la féminité et en les mettant sur le plateau je les renvoyais au questionnement sur leur propre masculinité. C’était aussi se poser la question ensemble de ce qu’on fait de ces représentations et de ces stéréotypes féminins qu’on nous propose. Puisque je suis courbe, c’est la fabrication de ce parcours d’une femme qui se propose des expériences physiques, corporelles, sensitives et expérimentales avec ces deux hommes de générations différentes dans un va et vient : tantôt c’est elle qui amorce, tantôt ce sont eux qui vont l’aider à faire une autre expérience donc il s’agit aussi d’un véritable trio avec cette idée qu’elle n’est jamais satisfaite et qu’elle avance donc de proposition en proposition. L’idée aussi qu’on ne parvient jamais à s’accepter telle qu’on est parce qu’on est dans une intranquillité permanente.
Vous revêtez des apparences très différentes dans cette pièce, il y a presque un exercice de transformisme, vous êtes parfois plus homme que vous partenaires, vous vous appareillez de combinaisons qui modifient votre corps à l’instar des œuvres visuelles que vous liez à votre pièce sur votre site.
Ces œuvres font partie d’un corpus que l’on a constitué avec Antoine Berr et ces images notamment de corps morcelés croisaient ma réflexion sur mon propre corps et ma façon de l’utiliser chorégraphiquement. L’idée d’isoler des parties du corps mais aussi de travailler paradoxalement avec le titre de la pièce sur les lignes et les alignements et de façon très segmentaire. Ce référentiel m’a permis de développer un vocabulaire chorégraphique particulier autour de cette question du corps et en l’occurrence de mon propre corps. Par ailleurs, il y a un panorama de figures féminines qui vont d’une sorte de matrice organique à l’archétype de la blonde qui constitue la restitution des images féminines que l’on peut absorber à travers les media, mon personnage n’est pas une victime, elle est volontaire, elle est active de ces transformations successives et assume d’une certaine façon cette sexualité agressive portée par ces représentations et en même temps elle est consciente d’une faille dans ce système de représentations et découvre sa propre fragilité, intériorité.
Quel était l’enjeu pour vous en créant cette pièce ?
Faire une pièce à la fois exigeante et accessible tout en se permettant des fantaisies, des décalages. Accepter le côté rock et rugueux qui me définit aussi, toujours transgresser les frontières pour que ça circule et assumer mon côté gourmand, Puisque je suis courbe, est une pièce riche en terme de matière, à la fois pour le spectateur et pour moi en tant que chorégraphe-interprète et j’avais envie d’affirmer cette multiplicité de choix et de désirs.
Puisque je suis courbe a été créée et présentée du 26 au 29 janvier 2016 au Grand Atelier-EVE (Université du Maine) dans la programmation des Quinconces-L’espal.
Pour en savoir plus sur Zutano-Bazar et Puisque je suis courbe, c’est ici.
Dates à venir Zutano BaZar
Pin-Up Suicide – concert pop rock glamour
25 février – Utopître – Université du Maine, Le Mans (72)
26 février – Café de la gare – Chenu (72)
27 février – Café comptoir Colette’s – Tours (37)
5 mars – Papier Buvard – Soulvache (44)
12 mars – Café La Luna – La Chartre-sur-le-Loir (72)
Le chant si beau des femmes-oiseaux – concert spectacle sur la migration à partir de 10 ans
18 février, Festi’Mioches, L’Alambik – Le Mans (72)
4 mars, Laigné-en-Belin (72)
1er avril, Médiathèque Noyen-sur-Sarthe (72)
Du 18 et 20 avril, Ligue de l’Enseignement, Le Mans (72)
Du 21 au 23 avril, Théâtre de l’Ecluse, Le Mans (72)
Deep Z Tribute – solo pour une danseuse et une platine vinyle
25 août, Les Soirs d’Été, Le Mans
Image de Une, visuel de Puisque je suis courbe, Florence Loison, Zutano Bazar (c) Antoine Berr.