Entre intensité et cohérence, le parcours de la chorégraphe Annabelle Bonnéry

Nous avions quitté Annabelle après avoir assisté à la répétition publique d’une étape de travail de sa nouvelle création et après avoir parlé de son implication dans un gros projet mené en partenariat avec le Théâtre national de Chaillot dans le quartier de la Goutte d’Or de Paris. À lire ici !

Quelques mois plus tard, nous avons eu envie de faire un point avec elle, sur son parcours, d’autant qu’en juin dernier, on apprenait sa nomination comme directrice artistique de Carte Blanche, la compagnie nationale de danse contemporaine norvégienne. Comment mener de front des projets et des demandes si différentes ?

Ce qui frappe à son écoute, c’est la fluidité et la cohérence du propos lorsqu’elle déroule les différents projets qui l’occupent en parallèle et simultané. Une organisation sereine de la pensée au service d’une énorme énergie déployée pour répondre au mieux à chaque exigence.

Two seul, Cie Lanabel (c) François Deneulin.

Une tournée internationale, pour sa création 2017, Two seul, qu’elle reprend en la peaufinant encore, travaillant sur les articulations de sa forme composée d’un solo et d’une pièce de groupe. Fil conducteur du métissage de matières et de cultures, notamment à travers les différentes symboliques  des funérailles et de la mort, confrontant les visions africaines et occidentales soutenues par l’interprétation bouleversante du Stabat mater de Vivaldi par le contre ténor congolais Serge Kakudji. Comme dans sa pièce précédente Atropos, la chorégraphe travaille autour des questions de cultures, de territoire, d’identité, de construction et de déconstruction, plaçant au cœur le métissage des rencontres humaines. Rencontres culturelles mais aussi métissage des champs disciplinaires propres à chaque artiste ; la danse, la scénographie, la musique et le chant sont autant de matières, à l’égal de la terre présente au plateau, qui forment la pâte organique de cette pièce.

Terre, Two, seul, Cie Lanabel (c) François Deneulin.

Two, seul est au Staatstheater de Wiesbaden les 4 et 5 novembre prochains puis sera donnée au Burkina Faso à partir du 13 décembre à Ouagadougou au CDC- La Termitière, une façon de poursuivre et d’honorer le travail de partenariat existant avec Salia Sanou,  le 16 décembre à l’Institut français de  Bobo Dioulasso et du 15 au 17 février 2018 au Théâtre national de Chaillot.

Ce dernier lieu nous ramène au projet qu’il a initié en 2016 à la demande de la préfecture de l’Ile de France. Ambitieux projet qui donnera lieu très certainement au 1er décembre 2018 à un spectacle dans ce même théâtre consacrant l’aboutissement de trois années de travail sur le terrain avec les associations de quartiers, les structures partenaires et les artistes associés.

Un projet qui, rappelons-le, s’ingénie à créer du lien dans un quartier réputé difficile et négligé celui de la Goutte d’Or. Un quartier où Annabelle Bonnéry a trouvé de nombreux soutiens auprès des associations existantes qui ont servi de relais pour inviter les habitants à participer aux différents ateliers proposés pour construire petit à petit une grande fresque qui peut compter jusqu’à 200 participants.

Soirée Fraternité Générale du 23/10/2017 à Chaillot, Annabelle Bonnéry, Serge Kakudji, Clint Lutes (c) Iannis Martin.

Plusieurs gageures ici, attirer les habitants vers le projet mais aussi les fidéliser sur le long terme jusqu’à son aboutissement, mêler les générations en proposant des ateliers parents-enfants mais aussi en allant chercher jeunes adultes et jusqu’aux séniors. Développer une exigence artistique pluridisciplinaire en faisant collaborer des artistes venant de champs différents : arts plastiques et scénographie avec François Deneulin épaulé par Dominique Lucci et Joël Bast, danse avec les danseurs chorégraphes Annabelle Bonnéry, Clint Lutes et Sandrine Maisonneuve et la participation d’associations de danse africaine, ou de body Taekwondo, musique avec Serge Kakudji qui s’appuie sur des chorales préexistantes dans le quartier et intègre le groupe de rock Aurore. En effet, au-delà des ateliers menés en quasi continu par les artistes, des stages et des événements performatifs ponctuels sont proposés à la population afin de maintenir un état d’envie jusqu’à l’aboutissement du projet. Le 13 octobre dernier à Chaillot Annabelle Bonnéry et Serge Kakudji ont ouvert la soirée Fraternité générale (manifestation née après les attentats de novembre 2015 avec comme objectif de promouvoir la fraternité à travers des actions culturelles, pédagogiques et citoyennes partout en France) après les spectacles Solstice de Blanca Li et Kata d’Anne Nguyen. Le 10 septembre, ils dansaient et chantaient dans une cour d’immeuble à la Goutte d’Or sur l’invitation de la Compagnie théâtrale Gaby Sourire. Une cohérence qui se poursuit en tissant des liens sur le territoire du quartier en développant un métissage culturel et de pratiques avec pour fil conducteur de créer cette grande fresque festive de La Goutte d’Or. Annabelle utilise une phrase magnifique pour qualifier ce qui se joue ici : « Ceux que nous sommes ensemble » ce pourrait être le titre de ce qui reste à advenir mais c’est déjà un lien très fort entre les différents participants. À cet égard, Annabelle insiste sur le soutien et l’accompagnement professionnel, attentif et engagé des équipes de Chaillot qui ont mis 6 services civiques à disposition du projet. Elle rappelle le rôle des équipes techniques notamment pour la création des costumes et a l’ambition de créer des ponts avec les métiers du théâtre et de les faire mieux connaître au public. Un projet qui outre Le théâtre national de Chaillot compte parmi ses partenaires la fondation SNCF et la préfecture d’Ile de France ainsi qu’un certain nombre d’autres, privés.

Face à l’ampleur de la tâche, se pose la question de la gestion de sa nomination à Bergen, comme directrice artistique de Carte Blanche, même si son contrat de 4 ans ne prend effet que  le 1er  août 2018. La chorégraphe a déjà rencontré les équipes et souhaite vivre une transition en douceur, c’est aussi une sorte de retour en terre connue puisqu’elle a été répétitrice pour Carte Blanche de 2011 à 2014 sous la direction de Bruno Heynderickx. Elle souhaite ouvrir le répertoire de la Compagnie à une  diversité d’esthétiques et d’univers à partir du travail de l’actuel directeur Hooman Sharifi et construire  la spécificité de Carte Blanche comme compagnie de répertoire.


JERADA, Bouchra Ouizgen, Carte Blanche (c) arash a. nejad / nyebilder.no

Annabelle Bonnéry souhaite garder 2 créations par an : œuvres de commandes demandées à des chorégraphes en valorisant les artistes scandinaves et en favorisant les échanges et liens Nord/Sud ou vers les pays d’Amérique du Sud. Elle souhaite aussi poursuivre les croisements artistiques notamment dans son premier programme en associant un chorégraphe et un compositeur.

À ces 2 créations, elle désire en ajouter une troisième qui aurait lieu hors théâtre dans des lieux non dédiés (hôpitaux, halls sportifs) afin d’aller à la rencontre du public, diversifier aussi ce dernier en développant les tournées internationales de la compagnie.

Autre volet, soutenir la jeune création en accompagnant un chorégraphe émergent norvégien pendant une année en vue d’un partage de compétences émanant de la structure, ce volet ne sera mis en place qu’à partir de 2019/2020.

Ouvrir des auditions, faciliter les rencontres pour laisser à la compagnie l’opportunité de s’enrichir et aux danseurs d’approfondir des chemins individuels.

Sur le plan artistique, Annabelle souhaite poursuivre la recherche sur le mouvement en étant perméable aux autres arts, garder la diversité de la compagnie en restant réceptive aux orientations de la danse contemporaine, garder un œil sur les créations et une proximité avec les danseurs, échanger sur les ambitions et les stratégies de développement de la compagnie…avant tout elle souhaite vivre une transition la plus fluide possible ce dont elle ne doute guère connaissant le degré de professionnalisme et d’expérience de l’équipe de Carte Blanche.

Un parcours d’une grande richesse guidé par une  réflexion toute de cohérence qui malgré l’intensité des actions à mener montre l’existence d’un vrai maillage entre les différents projets. À suivre !

En savoir plus sur la compagnie Lanabel c’est ici !

Image de Une portrait d’Annabelle Bonnéry crédit photo François Deneulin.

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