Emmanuel Lefloch vous êtes attaché aux relations avec le public à la MC2 de Grenoble, en quoi consiste votre travail ?
Il s’agit travailler sur deux plans, l’un quantitatif, l’autre qualitatif, dans les deux cas il s’agit de faciliter le passage d’une information de l’intérieur vers l’extérieur pour qu’un maximum de gens vienne aux spectacles ; je travaille en lien avec mes collègues de la communication qui gèrent relations avec la presse, affichage, alors que j’organise plutôt des événements ou des projets en amont d’un spectacle.
Par exemple, à l’occasion de la résidence et du spectacle Desh d’Akram Khan, une table ronde a été organisée avec un journaliste du magazine Danse, un spécialiste du Bengladesh et le chorégraphe pour parler des conditions de vie et de la vie artistique dans ce pays. Ce travail-là, est ce qu’on fait avec le tout public, mais la majeure partie de notre travail se fait avec des groupes identifiés. Il s’agit d’enseignants, de relais associatifs, de responsables de comités d’entreprise, de personnes travaillant pour des commissions culturelles. La démarche est bien sûr d’amener ces personnes à voir des spectacles mais aussi de leur proposer des ateliers, des rencontres avec un artiste. La MC2 travaille avec environ 160 partenaires, issus de champs très divers : social, économique, culturel, éducatif. Nous sommes six personnes en relations publiques qui travaillons à cette mixité du public, et à la recherche de nouveaux publics.
Desh d’Akram Khan.
Plus spécifiquement par rapport au public de danse, la MC2 a-t-elle une politique ou une stratégie particulière pour attirer et fidéliser le public notamment à la danse contemporaine réputée comme difficile d’accès ?
Il y a deux types de comportement du public lorsque la programmation est dévoilée chaque année en juin : ceux qui se ruent pour avoir le spectacle qu’ils ont repéré, et puis il y a tous les autres, ces groupes qui ne viennent pas spontanément dans les salles et c’est avec eux que l’on travaille. Je vais donner un exemple d’un projet que j’ai monté avec le Lycée professionnel Guynemer qui propose un dispositif intitulé Starter destiné aux élèves décrocheurs scolaires. Je rencontre l’enseignant chargé du groupe et on feuillette ensemble la programmation. Et je m’arrête sur le spectacle Sfumato de Rachid Ouramdane sur des réfugiés climatiques en Chine. J’en parle un peu avec le professeur qui donne son feu vert malgré les difficultés attendues puisque ce sont des jeunes en rupture du système scolaire qui sont peu voire jamais venus dans une salle de spectacle et encore moins pour de la danse contemporaine et sur un tel sujet. Cela dit ma proposition n’était pas totalement innocente : j’avais l’accord de Rachid Ouramdane pour initier un projet. Je vais rencontrer la classe et je leur parle, à la demande de l’enseignant, des métiers autour du spectacle vivant (le projet pédagogique est de leur demander de réfléchir à ce qu’il faudrait pour monter et diffuser un spectacle). Pendant ce travail ils découvrent qu’il n’y a pas que l’artiste mais de la machinerie, de la lumière, du son, de la communication, de la billetterie, etc., à l’issue de cette séance ils viennent visiter la MC2 en présence de son directeur technique Jean-Luc Thorant à qui j’avais demandé de préparer une visite thématique assez technique autour de la machinerie de plateau. On propose à Sonia Chiambretto, la dramaturge de Rachid Ouramdane de venir animer deux temps d’atelier d’écriture avec les douze élèves, on prévoit une rencontre avec Rachid à l’issue du spectacle et ceux-ci doivent en proposer leur interprétation sous la forme qu’ils souhaitent (dessin, texte, exposé, etc.). Après ces sessions le professeur dit : « je n’impose pas votre venue au spectacle seuls les volontaires y vont ». La question clé était de savoir combien viendraient : 10 sur 12 sont venus.
Sfumato / Rachid Ouramdane (trailer) from Association L’A. on Vimeo.
Cela répond à la question : à qui s’adresse le spectacle ? Il y a tout dans cette question quand on travaille en relation avec le public. Bien évidemment à tous ! On œuvre à lutter contre ces clichés qui veulent nous dire que les spectacles que nous proposons s’adressent à un certain type de personnes. Un jeune m’a dit un jour, je voudrais voir un spectacle de danse mais je suis un garçon, est-ce que vous pensez que je peux venir ? Il y avait bien sûr de l’ironie dans sa question mais derrière c’est bien quelque chose de l’ordre de la représentation qui transparaissait. Si on pose à cent personnes la question : « Qu’est-ce que le théâtre ? », on aura des réponses si on leur demande : « Qu’est-ce que la danse contemporaine ? », là ça devient nettement plus compliqué d’en obtenir. Certaines personnes sortent d’un spectacle de danse en disant je n’ai rien compris. Se pose alors la question de la légitimité du discours sur… pour nous chaque spectateur est légitime à parler de ce qu’il a vu parce qu’on s’adresse d’abord à son ressenti. Certains ont un discours intellectuel sur un objet qui ne l’est pas. Dans une interview radiophonique récente Preljocaj disait : « Je propose un rapport au corps, à la musique mais je n’ai pas de message ». Pour nous aucun spectateur n’est plus légitime qu’un autre à parler d’un spectacle, c’est pourquoi la mixité des publics nous semble centrale.
La MC2 est une structure qui accueille aussi le centre chorégraphique national de Grenoble (CCNG) est-ce que cela influence votre travail ?
Clairement oui, le travail avec les collègues du CCNG est très facile d’où la mise en place d’ateliers découverte et de pratique de la danse contemporaine, avec quand c’est possible des ateliers d’approfondissement. Cette proximité influence aussi les spectacles que je vais présenter aux groupes identifiés. J’ai ainsi choisi de présenter Racheter la mort des gestes aux travailleurs sociaux parce que c’est un spectacle qui parle de la différence, on peut même dire qu’elle envahit le plateau, de plus, c’est un parcours autobiographique d’artiste celui de Jean-Claude Gallotta et qu’en tant que directeur du centre chorégraphique Il est dans nos murs. Il est donc aussi facile d’organiser des rencontres avant ou après spectacle avec lui, je peux aisément demander à Hélène Azzaro qui s’occupe du CCNG si un ou une danseur(se) de la compagnie est disponible pour animer un atelier de pratique avec ce groupe là. Il y a une amitié et une humanité commune entre les différentes structures qui rend le travail beaucoup plus facile.
En conclusion…
Ce métier est passionnant parce qu’il demande une adaptabilité constante. Avant vous j’étais en rendez-vous avec une personne d’un centre de vacances avec qui on envisage des temps de rencontre et de sensibilisation pour de futurs animateurs de collectivités, et ce soir j’accueille deux groupes d’étudiants différents, un d’école de commerce et l’autre d’ingénieurs, l’un va aller voir de la danse avec Tauberbach de Platel, l’autre du théâtre avec La position de l’autruche de Papagalli et qu’à l’issue du spectacle une rencontre est prévue avec le metteur en scène. Bref, une belle journée de relations publiques !
Image de Une, Emmanuel Lefloch, attaché aux relations avec le public à la MC2 de Grenoble, photo MC2 tous droits réservés.