Tanz im August 2024

UMUKO, Direction artistique Dorothee Munyaneza, Musique Impakanizi, Jean Patient Nkubana et Michael Makembe, Lumiere Camille Duchemin, Costumes Stephanie Coudert, Coiffe Muhawenimana Maximilien et Mizero Cedric, Chaillot Théâtre National de la Danse le 14 mai 2024. Avec : Yvette Niyomufasha, Jean Patient Nkubana, Impakanizi, Abdoul Mujyambere et Michael Makembe  (photo by Patrick Berger)

Le programme du 36e festival de Tanz im August, qui se déroule du 15 au 31 août, présente 18 productions dont 3 premières mondiales, 10 premières allemandes et 7 coproductions berlinoises et internationales. Ricardo Carmona, le directeur artistique du festival, a souhaité placer cette édition sous le signe de l’histoire, des souvenirs et des rencontres.


Que serait une ouverture de festival sans sa ribambelle de discours qui enfoncent assez facilement des portes ouvertes ? Annemie Vanackere, directrice du Hebbel am Ufer, a ouvert le bal en comparant la danse à un frelon qui tourne autour d’un cheval et le maintient ainsi en mouvement et en éveil… Ricardo Carmona a préféré rapprocher la danse d’une boussole à rencontres… Enfin, Oliver Friederici, secrétaire d’État à la culture au Sénat de Berlin, a lui aussi fait la promotion de la danse même s’il est question de réduire drastiquement les subventions allouées à la culture en 2025. Fort heureusement, pour contrer l’hypocrisie politique, de nombreux flyers protestataires envers le Sénat jonchaient le foyer du HAU1.

Umuko de Dorothée Munyaneza © Patrick Berger

Mais place à la performance, pendant qu’il en est encore temps : Dorothée Munyaneza et la Cie Kadidi ont présenté Umuko, en première allemande. Un spectacle qui met en scène un des souvenirs d’enfance de l’artiste rwandaise : l’arbre Umuko, traditionnellement considéré comme un guérisseur et un gardien d’histoires. Il symbolise une sorte de tourbillon entre le passé, le présent et l’avenir. Ainsi, la performeuse invite à un parcours initiatique à travers les époques et les styles, les sons et les formes d’expression, en soulignant l’audace d’une nouvelle génération d’artistes.

Umuko est avant tout un grand voyage musical, entre funk et blues, difficile à catégoriser. Le périple débute, guidé par des luths frappant sur l’inanga, instrument traditionnel rwandais qui oscille entre cordes et percussions. Les vibrations se répètent jusqu’à une sorte d’étonnant clapping a cappella. La balade prend des airs de ballade et se parsème de détours (trop peu) dansés : mouvements acérés, sauts ardents, spatialité esthétique… Les cinq interprètes n’échangent pas vraiment jusqu’à ce que la musique les réunisse au moment de l’apothéose finale. Dorothée Munyanenza réussit à créer une performance d’où émane une rare synergie. Mutisme et bruit s’y côtoient avec justesse même si la musique, tout au long de la pièce, embraye le pas sur la danse, ce qui, selon moi, ne devrait pas être le cas…

DUB d’Amala Dianor © Pierre Gondard

En second week-end de festival, la dernière pièce d’Amala Dianor, DUB, a foulé avec brio les planches du Haus der Berliner Festspiele. Présenté pour la première fois en Allemagne, DUB rassemble onze interprètes virevoltants, aiguillés par Awir Leon aux platines. Sangram Mukhopadhyay, aux bras waacking hypnothisants, surgit le premier d’une porte centrale encadrée de néons. Son corps transpire le kathak et le vogue pour évoluer vers une danse africaine urbanisée à l’entrée de ses compères danseur.ses. Le melting-pot d’une heure d’électro abondant, de footwork house coulants et de krump tonitruant s’annonce décoiffant !

Puis la scénographie, signée Grégoire Korganow, s’amplifie. En fond de scène, une immense structure rappelle un immeuble qui laisse entrevoir des scènes de vie ou saynètes. Ça se chauffe de tous les côtés ! La fête prend des allures de battles en petit comité, qui se jouent dans un squat tamisé, des souterrains aux toits, et d’où jaillissent de partout des individualités fortes, aussi sensuelles qu’austères. Car Dianor «aime bien être interpellé par la personnalité d’un artiste et avant tout donner à voir des individus qui s’expriment». Alors que la violence laisse place à la grâce, les techniques foisonnantes s’alternent entre étreintes et abandon, la musique elle-même s’évaporant peu à peu dans les remous de fumée..

Le pari d’Amala Dianor de créer une osmose de tous ces talents, mobilisés pas une pulsation semblable, est indéniablement réussi. On en prend plein les mirettes ! Un chorégraphe aussi charismatique que décontracté que l’on aurait à cœur de voir plus souvent en Allemagne et, pourquoi pas, nommé aux commandes de structures et festivals significatifs…

Aussi remarquée, la chorégraphe Yinka Esi Graves présentait The Disappearing Act (qui a eu sa première au Festival Flamenco de Nîmes en 2023). L’artiste, née à Londres d’un père jamaïcain et d’une mère ghanéenne, vit en Espagne depuis dix ans. Pour cette pièce, elle a développé son processus créatif en Espagne, au Ghana et au Portugal, mais aussi sur des ponts, dans des forts et des forêts. Dans tous ces lieux, elle a « tenté de convoquer l’invisible, ce qui résiste malgré les disparitions ». De là est née « une grammaire chorégraphique qui ne cesse jamais de dialoguer avec le flamenco ».

The Disappearing Act ressuscite ainsi à travers le flamenco l’influence des esclaves venus d’Afrique. Le flamenco y est employé telle une arme politique comme pour mieux « s’afficher en tant qu’ombre dans la lumière et pour dénoncer l’effacement des corps noirs dans l’espace public ». Ancrés dans le sol, les pieds de Yinka Esi Graves entrent en parallèle avec la danse africaine, qui n’est plus ni moins qu’une intense conversation avec la gravité.

The Disappearing Act de Yinka Esi Graves © Luis Castilla

Anglais, espagnol et français : ces trois langues coloniales bercent la pièce au travers de Remi Graves aux percussions, Rosa de Algeciras au chant et Yinka qui fait un clin d’œil en français à Mademoiselle Lala, circassienne du 19e siècle peinte par Degas. Le musicien andalou Raúl Cantizano, pionnier du renouveau expérimental de la musique flamenca, décore l’œuvre de sa guitare flamenca qu’il nomme «guitarra preparada», y ajoutant des cordes pour retravailler les sons.

Yinka Esi Graves : une chorégraphe à suivre de près, une façon toute particulière de faire entrer le corps en conversation avec des questions de société passionnantes. On espère que l’infusion de sa prochaine création ne prendra pas trop de temps.

OÙ ET QUAND ?
Du 15 au 31 août dans différentes scènes berlinoises
DUB est entièrement visionnable sur arte

Crédits Image de Une : Umuko de Dorothée Munyaneza © Patrick Berger

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