Edouard Hue à la Scala de Paris

Edouard Hue, jeune chorégraphe de la compagnie Beaver Dam, ne cesse de nous surprendre. Une fois
de plus, avec Shiver et All I need, il confirme son écriture chorégraphique tout en ouvrant de nouvelles
pistes créatives.
All I need, est une pièce de groupe qui résonne avec le passage de Trump au pouvoir mais aussi la
guerre en Ukraine, même si la pièce a été conçue avant le début de cette dernière.
Une dystopie et une uchronie qui nous propulsent dans un lieu et dans un temps qui peuvent aussi
bien se dérouler aujourd’hui ici, que dans une autre contrée dans le passé ou dans un futur qui s’avère
fort incertain aux yeux du chorégraphe.

All I Need, Edouard Hue (c) David kretonic.


Rupture dans le ton et la proposition, première pièce que le chorégraphe qualifie lui-même de
politique, rupture dans l’occupation du plateau avec un rapport frontal aux spectateurs, rupture dans
la forme, avec deux phases clairement identifiées par un noir complet cloturant la première,
changement de costumes, introduction de la parole, interpellation du public, mise en place d’une
boucle répétitive puis de tableaux arrêtés dans la seconde.
Une pièce riche, dense, d’une écriture chorégraphique toujours aussi exigeante sur le plan physique
pour les danseurs, dont les corps et les qualités individuelles sont mises en valeur. On retrouve la
signature du chorégraphe dans l’engagement physique, la fluidité des corps, les bonds jaillissants,
l’énergie quasi bestiale mais toujours maîtrisée.

All I Need, Edouard Hue (c) David kretonic.


La première partie nous donne à voir une gestuelle martiale, un groupe de guerriers sans armes et sans
cuirasses investit le plateau dans un travail d’unisson, de déphasage et de répétition des gestes,
occupant la totalité du plateau dans une déambulation réglée au millimètre.
Dans un deuxième temps, les corps se couvrent de vêtements disparates, les individualités
apparaissent, tout en se fondant dans l’universalité d’un collectif bigarré qui se retrouve parfois lors
d’une gestuelle commune.
Sans tout dévoiler de la pièce, sachez que l’on s’y dépouille d’oripeaux, que l’on cherche à y être
reconnu, que les frontières entre danseurs et spectateurs s’emmêlent parfois au point que l’on peut se
poser ces questions : qui voit, qui est vu, que voit-on de nous-même dans cette boucle répétitive pour
se faire admettre en vain…

All I Need, Edouard Hue (c) David kretonic.


Le show s’emballe et tourne parfois à la foire d’empoigne mais de cette humanité pathétique et défaite
surgissent des moments de grâce, figés comme des tableaux classiques, on reconnaît Le Radeau de la
Méduse
ou La Liberté guidant le peuple, on se nourrit de l’énergie du groupe, on se reconnaît dans ses
errances et ses questionnements, et comme lui, on aimerait trouver une solution collective qui nous
sorte des bégaiements de l’histoire.

Shiver, Edouard Hue, Yurié Tsugawa, Beaver Dam Company (c)Loïc Kervignac.


Avec Shiver, l’ambiance est tout autre, dansé par Edouard Hue et Yurié Tsugawa, Shiver est un
magnifique duo d’amour, duo étrange, où les deux protagonistes semblent désincarnés dans un
premier temps comme des marionnettes au regard vide qui découvrent progressivement la vie, le
désir. Une gestuelle qui parle d’art martial et de poésie, où l’on retrouve les qualités d’Edouard et de
sa partenaire, ancrage dans le sol, puissance des pieds, fluidité et précision du geste, changement des
qualités de corps, emballement des rythmes ou lenteur assumée. Un duo qui parle de fusion sans
anéantissement de l’autre, un duo sensuel, organique et délicat comme une calligraphie se déroulant
au plateau.

Shiver, Edouard Hue, Yurié Tsugawa, Beaver Dam Cie (c) Etsuko Matsuyama – Yokohama Ballet Festival

La question de la relation à l’autre y est posée réellement : qu’est-ce qui fait que l’on se
trouve, suffit-il de faire les choses à l’unisson pour être un couple ? À l’évidence pour le chorégraphe
la réponse est ailleurs, dans l’acceptation d’une altérité radicale qui nous fait vibrer et frissonner.
Actuellement en résidence de travail en Suisse, le chorégraphe a accepté de nous parler de son
nouveau défi : répondre à une commande de l’Opéra du Grand Avignon qui lui propose de monter sa
version de L’Oiseau de feu de Stravinsky, lors d’une soirée en plateau partagé où Le Boléro de Ravel,
dans la version d’Hervé Koubi, sera aussi donnée. Edouard Hue avoue que cette proposition de
s’attaquer à un ballet, lui convient. Partir d’un livret, d’une musique, lui ouvre une autre branche de
création, et on a hâte de le voir à l’œuvre !

All I need, création 2021
Chorégraphe Edouard Hue.Compositeur Jonathan Soucasse. Costumière Sigolène Pétey. Créateur
lumières David Kretonic. Danseur.euse.s Esther Bachs, Alfredo Gottardi, Eli Hooker, Jaewon Jung,
Tilouna Morel, Rafaël Sauzet, Angélique Spiliopoulos, Yurié Tsugawa, Mauricio Zuniga. Assistant
artistique Alfredo Gottardi. Assistante costumes Diane Seguy. Conseiller dramaturgique Hugo Roux.
Production : Beaver Dam Company.

Shiver, création 2019
Chorégraphe Edouard Hue. Assistante artistique Yurié Tsugawa. Danseurs Edouard Hue, Yurié
Tsugawa. Compositeur Jonathan Soucasse.

Où et quand ?
Shiver et All I need du 18 au 28 janvier à la Scala de Paris
L’Oiseau de feu les 6 et 7 avril 2023, Opéra du Grand Avignon
En savoir plus sur Beaver Dam Company, c’est ici !
Image de Une, visuel de All I Need, Edouard Hue, Beaver Dam Company crédit photo (c) David Kretonic.

Written By
More from Véronique

HUMAN SCALE, la danse et le territoire à échelle humaine

Il y a quelques temps déjà on avait interrogé Florence  Loison, la...
Read More